mardi 13 mars 2012

Séparatisme en Libye : un scénario à la yougoslave ?



En manifestant leur désir d'indépendance pour la Cyrénaïque, les chefs de tribu des zones situées dans l’est de la Libye ont déclenché un brutal retournement de la situation en Lybie. Cette annonce sonne le glas du CNT (Conseil national de transition) qui était déjà menacé d' illégitimité. 
Le retour au fédéralisme — comme avant les années 60 - nettrait fin à l'Etat libyen doté d’institutions représentatives et légitimes. 


L’instauration de cet Etat passe avant tout par un démantèlement total des milices et l’acceptation d’un consensus politique entre les tribus du pays. A terme, si les représentants de la Cyrénaïque, du CNT et des autres tribus ne parviennent pas à un compromis, une guerre civile ne sera pas à écarter en Libye. Les éléments pour l’éclatement d’un conflit interne existent. Libye, Nord-Mali, Algérie, Sahel… Yahia Zoubir décrypte les enjeux qui se profilent dans une région sous haute tension.


La situation est encore très floue, car il est certain que le Conseil national de transition (CNT) ne contrôle rien. Mais cette déclaration est impromptue. Ce n’était pas du tout le moment de déclarer l’autonomie de la Cyrénaïque. Peut-être que les tribus de l’est ont agi de la sorte pour lancer un avertissement au CNT ? Ces tribus estiment, aujourd’hui encore, que leur région est lésée. Il ne faut pas oublier que la Libye a été, jusqu’en 1963, un Etat fédéral qui était composé de trois grandes entités : la Cyrénaïque, la Tripolitaine et le Fezzan. Si effectivement nous étions dans un contexte avec un Etat libyen doté d’institutions, un système fédéral ne serait pas nécessairement mauvais.


Le CNT est faible, il compte sur un soutien interne, peut-être des tribus de la Tripolitaine, pour pouvoir contrecarrer les visées des représentants de la Cyrénaïque. Il ne serait pas étonnant que cette initiative soit menée par un cousin du roi Idriss Al-Senoussi. La Cyrénaïque a toujours été très particulière, car c’est un fief conservateur. La confrérie des Senoussi est très conservatrice et il y a toujours un fort sentiment de vengeance envers la Tripolitaine. Dès l’arrivée de Mouammar Kadhafi en 1969, cette région s’est considérée lésée sur tous les plans. La déclaration d’autonomie reflète également le manque de légitimité du CNT. Les milices continuent de jouer un rôle majeur.


Kadhafi était issu d’une tribu minoritaire sur le plan du nombre. Il a joué un rôle de médiation entre les autres tribus. C’est ce mécanisme qui a disparu. Mais Kadhafi n’a pas mis en place les institutions nécessaires à la gestion d’un Etat fort. Actuellement, il n’y a plus d’Etat. Et le plus urgent consiste à trouver un consensus pour bâtir cet Etat. Ce n’est que par la suite que l’on pourra parler de fédéralisme ou de semi-fédéralisme. Actuellement, le CNT réagit comme s’il était face à une sécession. Mais le fédéralisme n’est pas une sécession. Mais dans le cas actuel, en l’absence d’Etat et d’institutions, cela peut être perçu comme une sécession… 
 Actuellement, la construction de l’Etat est bloquée par les milices car la force militaire est entre leurs mains. Il faut avant tout désarmer les milices et intégrer leurs membres dans une armée nationale.


On entend parler de plus en plus d’un plan élaboré par des puissances étrangères pour une sorte de partition de la Libye. C'est-à-dire que la Tripolitaine serait restée sous l’influence de «l’Est», donc de la Chine et de la Russie. Et la Cyrénaïque serait plutôt favorable aux Occidentaux. C’est pour cela que le CNT soupçonne le Qatar d’être derrière cette initiative. Les Qataris agiraient donc comme des sous-traitants pour l’Occident.


Un scénario à la yougoslave possible ? 
La manière dont s’est déroulée cette soi-disant révolution, avec l’intervention étrangère, a créé des inimitiés entre les tribus. Les warfala sont divisés, les toubous et les zouwaya sont en conflit… donc le potentiel pour une guerre civile existe. Tout dépendra de la capacité du CNT à imposer sa légitimité. Car n’oublions pas que ce n’est qu’une instance de transition.


Les répercutions sur la région sont difficiles à prévoir. A court terme, cela pourrait provoquer des flux migratoires et augmenter le trafic d’armes. Cela causerait un grand problème de représentativité avec les pays voisins de la Libye en cas de guerre civile. C’est le cas notamment pour l’Algérie qui est en voie de signer des accords avec ce pays. La situation est potentiellement dangereuse.


Sous Kadhafi, les Européens avaient signé des accords avec la Libye pour contrôler les flux migratoires. Les Européens seraient confrontés à une problématique sévère si l’Etat libyen actuel venait à se dissoudre dans une partition conflictuelle.




source : diasporasaharaui