mardi 9 octobre 2012

Après avoir prédit la chute de l' URSS Emmanuel Todd prédit la fin de la démocratie en France et en Europe



Il y a quatre ans, Emmanuel Todd publiait cet ouvrage où il évoquait ses doutes quant au maintien de la démocratie en France. Son livre pouvait sembler exagérer les choses mais aujourd’hui force est de constater que nous nous rapprochons chaque jour un peu plus de son scénario comme l’atteste la ratification prochaine du TSCG. Ce ne serait pas la première fois que ses qualités d’analyse lui permettraient d’anticiper l’avenir, lui, qui avait prévu la chute de l’Union Soviétique dès la publication de son livre, « La chute finale » en 1976.
Au début de son livre, Emmanuel Todd s’interroge sur les raisons qui ont poussé les Français à porter au pouvoir un homme tel que Nicolas Sarkozy. Il s’est donc servi des travers de la personnalité de l’ancien chef d’Etat pour mieux appréhender les problèmes de fond de la société française.
L’incohérence de la pensée de Nicolas Sarkozy et sa capacité à changer d’avis en permanence ou à se faire l’avocat de tout et son contraire, serait lié, selon Todd, au vide idéologique et religieux de notre pays. Comme nous l’avions expliqué dans l’un de nos précédents articles, les Français se sentent perdus par la perte d’influence de la religion qui leur donnait un cadre et des valeurs à respecter. Ce vide, qui n’a pour le moment pas été rempli par une autre dimension idéologique, laisse les Français sans repère prêt à croire le premier beau parleur venu. 

Ainsi Emmanuel Todd montre que depuis cette période la proportion de bacheliers au sein d’une génération n’augmente plus alors que celle des sortants sans qualification du système scolaire ne diminue plus. Cette stagnation crée une sorte de pessimisme au niveau de notre société et un rejet des intellectuelles. 

Ecole Nationale d'Administration
Todd analyse également la forte augmentation du niveau scolaire au niveau de la population comme l’un des facteurs de scission entre les élites et le peuple. Lorsque que l’élite ne représentait que 1% de la population, elle était contrainte de s’intéresser au peuple et à ses difficultés. A partir du moment où 30 % de la population possède un niveau d’études proche des élites, ces dernières peuvent vivre entre-elles, même si l’on ne peut plus parler de fait d’élites au regard de leur importance. Il précise bien cependant que l’élite et le peuple ne doivent pas s’opposer, car le peuple a besoin des élites pour être guidé et les élites doivent s’intéresser aux problèmes du peuple pour le guider de manière pertinente.
A l’arrivée nos élites tournent en rond et notre pays s’enfonce dans la crise.

Historiquement la France s’est construite sur des valeurs de liberté et d’égalité issues du monde paysan, où l’héritage s’effectuait de manière libre et égalitaire, contrairement aux pays anglo-saxon où le partage était complètement libre (liberté sans égalité), à l’Allemagne, où l’ensemble de l’héritage était donné au fils aîné (autorité et inégalité) ou à la Russie, où l’héritage était partagé de manière égalitaire après que les fils soient restés sous les ordres des parents durant leur vie (autorité et égalité). Historiquement ces valeurs mettent énormément de temps à évoluer. Pourtant Emmanuel Todd se demande si la France ne se trouve pas au déclenchement d’une évolution qui pourrait bouleverser ses valeurs et qui sous-tendrait la dérive sociale et politique du pays. Ainsi il se demande si l’implosion religieuse et politique du pays ne favoriserait pas l’abandon du principe d’égalité au profit de l' individualisme.

Cet individualisme qui empêche les individus de penser à l’intérêt collectif pour mieux préserver leur intérêt individuel est absurde puisqu’à l’arrivée la division permet de favoriser les intérêts des 1% les plus riches. Mais même s’il ne l’avoue pas franchement on sent bien que Todd est loin d’être convaincu que l’individualisme triomphera.

Emmanuel Todd
Il estime que la mondialisation et le libre-échange sauvage ne favorise plus que 1 % des Français et qu’il est indolore pour 10 % de nos compatriotes. La clef est là. Avec le temps, la plupart des habitants de l’hexagone vont être confrontés aux dérives du néo-libéralisme. Alors qu’il y a quinze ans, la plupart des gens ignoraient les gémissements des classes populaires qui ont été les premières à souffrir de la mise en concurrence mondiale, l’immense majorité des Français va se sentir concernée. La question qui perdure est de savoir de quelle manière vont réagir nos élites mondialisées face à cette nouvelle lutte des classes.
Emmanuel Todd a imaginé trois scénarii.

Il intitule le premier la République ethnique. Il explique que lorsqu’une société ne parvient pas à résoudre ses problèmes économiques, elle peut basculer dans l’irrationnel c'est-à-dire dans la recherche de boucs-émissaires. Les arabes, les roms ou l’Islam pourrait tenir ce rôle. Dans une société où l’individualisme règne en roi et où l’Etat perd de l’influence, le risque de « ghettoïsation » et de repli sur soi peut-être grand avec un affrontement entre les différents camps. Emmanuel Todd donne peu de probabilité à ce scénario de se réaliser car les boucs-émissaires potentiels occupent une place beaucoup trop basse dans la société pour faire émerger une véritable jalousie à la base de toute haine féroce. La ficelle semble un peu trop grosse pour que les Français s’y laissent prendre.

Le second scénario, qu’Emmanuel Todd considère comme le plus probable, correspondrait à la suppression du suffrage universel qui ne subsisterait que pour des élections secondaires (Maire, députés européens…). En théorie la mise en application semble compliquée face à des Français très éduqués mais Todd explique que c’est déjà le cas dans le fonctionnement européen où le citoyen n’a aucune prise sur les décisions stratégiques. De plus la difficulté de plus en plus grande des hommes politiques à se faire élire sur un programme favorable aux élites tout comme la pauvreté des débats présidentiels posent question. L’adoption du traité constitutionnel malgré son rejet par référendum était un premier pas, celle du TSCG en serait un second qui conforterait la prévision de Todd. Les technocrates européens ont déjà trouvé le nom de leur nouvelle dictature : la gouvernance.
Pour éviter d’en arriver à une telle extrémité, Todd propose son troisième scénario qui est le protectionnisme, qu’il considère comme la dernière chance de sauver la démocratie européenne. Il affirme que « Le but du protectionnisme n’est pas fondamentalement de repousser les importations venues des pays extérieures mais de créer les conditions d’une remontée des salaires ». Le protectionnisme est la seule arme à notre disposition pour casser la paupérisation généralisée des travailleurs du monde qui implique un tarissement de la consommation mondiale. Todd écarte d’un geste de main les mesures de rétorsion de la Chine qui ne peut se passer des produits de l’industrie européenne sous peine de se retrouver sous la dépendance technologique du Japon ou des Etats-Unis.

Débat Todd-Mélenchon
Cela supposerait cependant que les 1 % des français les plus privilégiés acceptent de revenir temporairement sur leurs privilèges dans l’intérêt général. Si elles faisaient ce geste nos élites redeviendraient enfin des élites responsables.

Ce livre d’Emmanuel Todd est particulièrement convaincant et il constitue l’un des livres de référence de la pensée hétérodoxe c'est-à-dire de la pensée qui accepte de remettre en cause le dogme du libre-échange.

Deux remarques m’apparaissent cependant nécessaires. Il me semble que le fait de vouloir instaurer un protectionnisme européen est quasi-impossible à court terme car les allemands semblent trop attachés au libre échange et leur culture, basée sur l’autoritarisme et l’inégalité, parait indiquer que le temps de conviction sera nettement plus long que pour les Français. Or au rythme où va la crise, il importe d’agir vite et l’instauration d’un protectionnisme aux frontières de la France semble être la solution la plus pertinente à court terme.

Emmanuel Todd a soutenu Hollande lors des dernières présidentielles. Le fossé entre l’extrême qualité de son diagnostic et sa mise en application apparait immense. Pourquoi n’a-t-il pas opté pour Mélenchon ou Dupont-Aignant ? La question reste en suspens, mais la prochaine sortie de Todd risque de valoir le détour…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Todd propose son troisième scénario qui est le protectionnisme"


Gardons le sourire.
Est ce le hasard, fait il si bien les choses ?

Vous êtes lu par l'une des rares personnes qui en étudiant l'économie s'est rendu compte que la théorie des droits de douanes actuel est fausse.

Laissez moi un mois (voire deux), et je publierais quatre articles qui explique pourquoi le commerce international actuel n'est pas bon, et pourquoi les droits de douanes sont une excellente chose.
(même dans le cadre d'un petit pays, cf les théories actuels ^^)

Bien cordialement
et en vous remerciant de me faire découvrir ce livre, et de me permettre d'aller me coucher en ayant le sourire.

Borisniper