jeudi 5 septembre 2013

Hollande et la Syrie : Cafouillages, Erreurs d’Analyse, Divisions et Fiasco Au Sommet De L'État

Hollande et la Syrie: les explications d’un fiasco

source :  mediapart via TSS.com



La scène avait un air de déjà-vu. Hollande, chef de l’Etat et des armées, avec la gravité qui sied à ce statut, dans la salle des fêtes de l’Elysée, devant un parterre de diplomates, annonçant sa volonté d’engager la France dans une opération militaire. La première fois, c’était en janvier pour le Mali. La seconde, c’était il y a une semaine et le président de la République annonçait que « la France est prête à punir ceux qui ont pris la décision infâme de gazer des innocents » en Syrie.


Mais le parallèle s’arrête là. Pour le Mali, la France était maîtresse du jeu, forte de l’appel du président malien par intérim de l’époque, de résolutions du conseil de sécurité des Nations-Unies, d’un soutien, même tacite, de l’Union européenne et de l’appui de la grande majorité des partis politiques. La guerre avait été déclenchée quelques heures plus tard. Pour la Syrie, le contexte est radicalement différent: piégé par son activisme, François Hollande apparaît fragilisé, face à la communauté internationale et devant son opinion publique. Même certains socialistes sont réticents à soutenir une intervention militaire et les appels à un vote formel du parlement se multiplient.


En fin de semaine dernière, l’Elysée, le ministère des affaires étrangères et celui de la défense étaient pourtant sur le pied-de-guerre - les frappes paraissaient imminentes. Barack Obama leur a brutalement coupé l’herbe sous le pied en annonçant, à la surprise de ses propres conseillers, qu’il allait demander le vote du Congrès avant d’engager l’armée américaine en Syrie. Pire encore : à part un hommage de John Kerry, le chef du Département d’Etat, à « notre plus ancienne alliée », la position de la France est quasi-absente des débats aux Etats-Unis et François Hollande est désormais accusé de suivisme. Une accusation renforcée par le refus des parlementaires britanniques d’engager leur armée.


A Paris, le reproche agace les conseillers qui ont travaillé sur le dossier depuis des mois, tant la France se vit en pointe sur le dossier syrien dont elle s’est emparée dès le début de la rébellion. « La France est le pays qui est le plus en pointe dans son soutien à l’opposition à Bachar », disait Laurent Fabius en août 2012.


Dès son arrivée au quai d’Orsay, il a suivi la ligne fixée par son prédécesseur Alain Juppé, qui avait remplacé Michèle Alliot-Marie au quai d’Orsay après la polémique sur le soutien de la France aux dictateurs arabes. Juppé avait très vite condamné le régime de Bachar el-Assad, pourtant accueilli en grande pompe à Paris en 2008. Trois ans plus tard, le ministre des affaires étrangères l’accusait de « crimes contre l’humanité », appelait à des sanctions, et dénonçait le « silence inacceptable » du conseil de sécurité de l’Onu avant de menacer - déjà - d’un recours à la force.


Avec Laurent Fabius, la France est aussi la première à reconnaître la Coalition nationale syrienne «comme seul représentant légitime du peuple syrien» en novembre 2012. Elle a soutenu les réunions des Amis de la Syrie, elle a été la première à affirmer détenir les preuves d’attaques chimiques (c’était début juin) et, avec David Cameron, lui aussi très actif, elle a plaidé durant des mois pour des livraisons d’armes en Syrie.


Comment expliquer dès lors que François Hollande apparaisse comme un « suiveur », « manquant de stratégie » ? Des reproches partagés, sous couvert d’anonymat, par des diplomates, des militaires ou des responsables socialistes. La situation est d’autant plus paradoxale que la France compte de nombreux spécialistes de la Syrie, parmi les chercheurs (par exemple Jean-Pierre Filiu, longuement reçu à l’Elysée à son retour de Syrie cet été) ou les diplomates.


Le fiasco est d’abord la conclusion d’une « série de conneries », selon un conseiller français. Paris n’en revient pas de l’échec cuisant essuyé par David Cameron devant la chambre des Communes convoquée en 24 heures, sans prendre le temps de sonder en profondeur l’avis des parlementaires britanniques. « Pour nous, c’était totalement imprévisible! Ce sera la première fois depuis un siècle que la Grande-Bretagne ne participe pas à une opération… C’est un rétrécissement inédit du Royaume-Uni », décrypte un diplomate.


L’Elysée n’en revient pas non plus d’avoir été pris à revers par Barack Obama même si la France est persuadée que le président américain a choisi d’en appeler au Congrès parce qu’il est sûr de l’emporter et qu’il accroîtra ainsi la légitimité d’une intervention militaire.


En attendant, l’attitude américaine renvoie à la France au rang qu’elle occupe désormais: celui d’une puissance moyenne, bousculée par les pays émergents et incapable de casser la paralysie de l’Union européenne. La France est incapable de mener seule une action militaire en Syrie et ne pèse presque rien face à Vladimir Poutine qui ne la considère pas comme un interlocuteur à sa hauteur.


L’Elysée et le quai d’Orsay en sont conscients mais François Hollande a choisi de combattre ce « déclassement » sur la scène internationale. Pour ne pas abdiquer tout volontarisme politique et pour défendre les intérêts français, mais aussi parce que le président de la République est convaincu qu’une partie de l’opinion est sensible à ce sentiment de relégation. Pour Hollande, il contribue au pessimisme ambiant, à rendre poreux l’électorat aux thèses populistes et à affecter la confiance en l’avenir, indispensable - à ses yeux - à la reprise de la croissance.


« François Hollande veut être à l’initiative et il est aujourd’hui un peu la victime de sa volonté politique très forte en matière de relations internationales, confortée par son succès au Mali », décrypte un responsable socialiste. Sans compter que cela profite, même temporairement, à sa cote de popularité que surveille attentivement l’Elysée.



La France s’est-elle donné les moyens de sa stratégie ?



Mais dans le cas syrien, c’est sa stratégie, ou son absence de stratégie, qui est reprochée à la France. « Dans sa ligne d’opposition frontale (au régime de Damas, ndlr), la France a été au centre de la mobilisation des Amis de la Syrie, elle a aussi exhorté le Conseil national syrien, puis la Coalition nationale à être plus inclusif, mais la logique de notre position maximaliste aurait été d’aller jusqu’au bout, soulignait un diplomate dès le printemps dernier. Dès lors que l’on condamne l’illégitimité du régime et que l’on soutient l’opposition, il aurait été logique d’armer la rébellion ou à défaut d’explorer les voies d’une légitimation internationale d’une intervention. »


« Aller jusqu’au bout », c’est bien le problème : Paris ne s’est jamais donné les moyens de sa condamnation ferme du régime syrien et chaque nouvelle déclaration a été vite temporisée, voire suivie d’une reculade. A l’hiver dernier, après avoir reconnu la Coalition et reçu à l’Elysée son président, François Hollande évoque l’éventualité d’un appui militaire à la rébellion. Rien ne se passe avant le 13 mars 2013 où Laurent Fabius et le président passent de nouveau à l’offensive en plaidant pour une levée de l’embargo européen sur les armes.


Dix jours plus tard, les affaires étrangères puis l’Elysée temporisent à nouveau : entre-temps, le président de la Coalition, Moaz al-Khatib, a démissionné et le nouveau premier ministre intérimaire, Ghassan Hitto, est jugé trop proche du Qatar et des Frères musulmans.


La semaine dernière, François Hollande a de nouveau appelé à fournir davantage d’armes aux rebelles, concédant de facto l’inefficacité des appels précédents. Selon plusieurs sources, la France n’a pas ou très peu livré de matériels de combat à l’opposition syrienne, à l’exception de quelques systèmes de télécommunication - des instructeurs militaires ont également été dépêchés en Jordanie et en Turquie pour soutenir les rebelles. Pour le reste, bloquée par l’inaction européenne, la France s’est contentée de demander au Qatar et à l’Arabie saoudite de s’en charger.


Pour l’année 2012, l’aide globale de la France au peuple syrien s'est élevée à 13 millions d’euros. En juin dernier, le Président Hollande annonçait que 85 millions d’euros supplémentaires seraient dégagés pour la crise syrienne, un montant vivement contesté par les ONG. 


Depuis l’arrivée de Fabius, la stratégie du quai d’Orsay n’a pas varié: il s’agissait d’accompagner la structuration de l’opposition et des brigades armées à travers le Commandement conjoint des forces militaires jusqu’à ce qu’elle puisse offrir une alternative au régime de Bachar el-Assad. Mais Paris s’est épuisé à unifier les rangs de la Coalition, s’empêtrant dans les querelles politiques des différentes factions. Et si la France a obtenu gain de cause en mai dernier, avec l’élargissement de la Coalition et l’intégration de libéraux et de laïcs, celle-ci est devenue une assemblée non-représentative et sans légitimité auprès des forces révolutionnaires sur le terrain.


Plusieurs sources françaises estiment aussi que Paris s’est appuyé trop longtemps sur les réseaux établis par Eric Chevallier, l’ancien ambassadeur de France en Syrie, un proche collaborateur de Bernard Kouchner, nommé en 2009 par Nicolas Sarkozy dont il a défendu avec enthousiasme la politique étrangère. « Depuis le début, notre stratégie était de soutenir l’opposition, mais on n’a pas soutenu les bons », affirme un bon connaisseur de la Syrie. Dans son viseur: certains opposants, francophones et laïcs, très opposés aux Frères musulmans et parfois déconnectés de la réalité sur le terrain.


« Il est naturel que nous ayons une attention à la composante libérale et laïque de l’opposition pour qu’elle ait toute la place qui lui revient, mais nous parlons aussi à d’autres groupes, tels que les Frères musulmans que nous voyons régulièrement et à toutes les composantes non radicales », répond Eric Chevallier qui rappelle que la France a été la première à reconnaître comme interlocuteur Moaz al-Khatib, représentant du courant islamiste modéré en Syrie. Paris soutient aussi la coalition des médécins, l’UOSSM, qui appartiennent à la même mouvance que Khatib.


« Le soutien à la Coalition a eu un coût car il a empêché la France de travailler directement avec l’opposition réelle, alors que la politique française avait été novatrice à bien des égards, déplore pourtant un analyste occidental. Paris a fait ce que personne n’envisageait de faire : elle a ouvert la voie à l’aide directe aux Conseils locaux révolutionnaires, à des interlocuteurs inconnus de tous. »


La France a ainsi attribué une grande partie de son aide financière à des Comités civils et au bras humanitaire de la Coalition, l’ACU (Assistance coordination unit), dirigée notamment par la militante Souheir al-Atassi, vice-présidente de la Coalition, et aux réseaux de médecins syriens. Des représentants des Conseils locaux ont même été invités à Paris au mois d’octobre par le quai d’Orsay.


Initiée depuis Paris et Gaziantep, à la frontière turco-syrienne, là encore par Eric Chevallier, dont l'influence est restée intacte avec l'arrivée de Fabius au Quai d'Orsay, cette action s’inscrivait dans une volonté d’associer les acteurs sur le terrain, et non les seuls exilés. « Offrir des services à la population quand son régime l’en a privé et alors que les jihadistes prennent place, est un des éléments de notre stratégie d’accompagner tout de ce qui permet d’offrir des alternatives au régime sanguinaire et aux radicaux », ajoute Eric Chevallier. 


Mais cette stratégie souffre d’un manque de moyens financiers et pâtit de l’incapacité de l’opposition à élaborer collectivement un projet politique. « En fait la France en fait à la fois trop et pas assez », résume un bon connaisseur de la Syrie.



Les frictions au sein de l’exécutif



Plusieurs bons connaisseurs du dossier jugent également que la France a sous-estimé les appuis de Bachar el-Assad, à la fois en Syrie et auprès de ses alliés historiques, la Russie et l’Iran. De fait, jusqu’au printemps dernier, Paris s’était convaincu que la chute du régime syrien était imminente. Ce n’est que progressivement que le quai d’Orsay a compris que la rébellion était en train de perdre la guerre.


« On a sous-estimé l’action de la Russie. C’est au début de l’année qu’on a commencé à comprendre que les livraisons russes allaient au-delà des contrats signés et que la Russie procurait aussi de la formation et du renseignement », explique un diplomate français. Depuis, la France estime que Poutine a livré des « quantités hallucinantes » d’armes, y compris jusqu’à la semaine dernière.


Ces cafouillages ou ces erreurs d’analyse ont été, à plusieurs reprises, l’objet de débats parfois vifs au sein de l’exécutif. L’Elysée, le quai d’Orsay et la Défense partagent la volonté de voir Bachar el-Assad quitter le pouvoir, de soutenir les révolutions arabes et l’intérêt stratégique pour la Syrie. « La Syrie, ce n’est pas l’étranger, c’est notre environnement », explique un conseiller. Et ce pour trois raisons: la Méditerranée, la proximité du Liban et le risque de déstabilisation régionale.


Mais François Hollande, Jean-Yves Le Drian, les services de renseignement, Laurent Fabius et les diplomates français n’ont pas toujours partagé la même stratégie. Le ministre des affaires étrangères, qui s’est beaucoup appuyé sur Eric Chevallier, a adopté tout de suite une ligne « dure » à l’égard du régime syrien. Parfois trop dure, ont jugé la Défense ou les services de renseignement. « Quand les diplomates se sont mis en tête qu’il faut intervenir, ils deviennent plus va-t-en-guerre que les militaires! », ironise un conseiller défense.


A plusieurs reprises, l’Elysée a tempéré l’enthousiasme de Laurent Fabius qui, par son poids politique et le prestige de son CV, se permet une certaine autonomie à l’égard de François Hollande. Lors d’une réunion en juillet des responsables socialistes de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, la politique de Fabius a été vertement critiquée, accusée en vrac de suivisme vis-à-vis des Etats-Unis et d’Israël, d’un manque de stratégie et de n’écouter personne.


Les deux spécialistes du Moyen-Orient dans son cabinet, Denis Pietton (directeur de cabinet) et Christian Nakhlé (conseiller Moyen-Orient) viennent de partir, le premier comme ambassadeur au Brésil, le second comme ambassadeur au Koweït.


Certains, y compris des diplomates, reprochent aussi à Laurent Fabius d’être obstinément opposé à toute discussion avec l’Iran et n’étaient pas convaincus par son choix de placer la France en première ligne alors qu’elle n’avait pas les moyens de régler seule la question syrienne.


Au quai d’Orsay, on juge à l’inverse que la Défense, et singulièrement les services de renseignement, ont été trop prudents, s’opposant longtemps à la livraison d’armes aux rebelles. Les services français et les services syriens ont une longue histoire de coopération, notamment en matière d’antiterrorisme, et plusieurs diplomates accusent la DGSE d’avoir un temps exagéré le risque jihadiste en Syrie, élément clef de la propagande de Bachar el-Assad.


Ce discours, relayé par certains experts de l’antiterrorisme, trouve un écho au sein de la classe politique française, y compris au parti socialiste. Certains députés PS craignent ouvertement que la chute d’Assad ouvre grand la porte aux terroristes islamistes et menace les chrétiens d’Orient. C’est le cas de Gérard Bapt, le président du groupe d’amitié France-Syrie à l’Assemblée nationale depuis 2002. « L’emprise des groupes terroristes de la mouvance d’Al-Qaïda est confirmée de semaine en semaine. Les attaques menées contre l’ASL (armée syrienne libre, ndlr), l’exécution de certains de ses responsables, montrent que les armements destinés à la rébellion modérée et laïque ne sont nullement protégés des captations jihadistes », écrivaient mi-juillet Gérard Bapt et François Loncle, tous deux députés PS.


Bapt a aussi organisé en juin un colloque sur la Syrie (voir ici ou là) auquel ont surtout participé des partisans directs ou indirects de Bachar el-Assad. Parmi eux, on trouvait Adnan Azzam, porte-parole du Parti du Peuple en Syrie, une formation créée en mai 2012, ouvertement pro-régime. Ce pseudo-écrivain est bien connu des opposants syriens : il a longtemps eu ses entrées à l’ambassade syrienne à Paris et est réputé proche des services de renseignement d’Assad. En France, il a été décoré de l’ordre national du mérite pour les actions en faveur de la diversité qu’il a menées dans le cadre de son association La France qui marche. Mais c’était en 2009, et c’est l’ambassadeur Bernard Bajolet, devenu patron de la DGSE, qui avait été chargé de la tâche.


Ces positions, relayées également par Jean-Pierre Chevènement qui parle de « guerre de religions », sont minoritaires à gauche. Elles contribuent cependant à brouiller le message de François Hollande, y compris dans sa majorité. Le débat de ce mercredi à l’Assemblée promet d’en être une nouvelle illustration.

Lénaïg Bredoux et Caroline Donati (Mediapart)

http://www.toutsaufsarkozy.com/cc/article02/EFZlkApkAZcHURmnTP.shtml


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