lundi 28 mars 2016

[Propagande] Donald Trump, un dictateur 100 % made in America

[Propagande] Donald Trump, un dictateur 100 % made in America

Trump bashing, de plus en plus fort…

Source : Slate, Jacob Weinberg, 20-03-2016

Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Donald Trump en meeting à Las Vegas, le 22 février 2016. Ethan Miller / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

Son autoritarisme n'est pas comparable aux dérives extrêmes européennes: c'est une idéologie purement américaine.

En 1935, Sinclair Lewis publia Impossible ici, un roman aujourd'hui davantage cité que lu, qui imaginait le fascisme arrivant aux États-Unis. Le leader du mouvement, Buzz Windrip, y était un démagogue populiste promettant «de refaire de l'Amérique un pays fier et riche», qui punissait les nations qui le défiaient et augmentait démesurément les salaires tout en maintenant les prix au ras du plancher.

Impossible de lire le roman de Lewis aujourd'hui sans penser à Donald Trump. Windrip est un bonimenteur démagogue, un homme «inspiré qui sait deviner quelles doctrines politiques plairont au peuple», qui comprend comment manipuler les médias et considère la vérité comme n'ayant pas la moindre pertinence. Son électorat composé d'hommes blancs économiquement défavorisés bêle devant son nationalisme xénophobe et ses promesses absurdes. Après avoir remporté les élections de 1936, Windrip prend le contrôle de la presse, boucle ses opposants et place des hommes d'affaires compétents aux commandes du pays.

Ce roman n'est pas excellent en réalité, mais Lewis le développe autour d'une vision clé: si le fascisme arrivait aux États-Unis, il prendrait la forme de variations sur des thèmes américains et non européens. L'Américain à cheval ressemblerait davantage au Sudiste Huey Long qu’à Benito Mussolini, à un opportuniste folklorique plutôt qu'à un idéologue rougeaud. Lewis avait eu du nez en devinant qu'un leader américain fasciste se présenterait sûrement comme un opposant au fascisme européen.

Contexte américain moderne

C'est un point que comprennent mal certains de ceux qui accusent Donald Trump de fascisme –y compris de nombreuses personnes de droite. C'est vrai, à l'occasion Trump ne dédaigne pas de retweeter une citation du Duce tout en se demandant ce qu'on peut bien y trouver à redire. Certes, ses meetings flirtent avec les violences raciales. Encore une fois, début mars, des voyous suprémacistes blancs ont énergiquement éjecté des manifestants noirs d'un de ses événements. C'est vrai, les dirigeants mondiaux que M. Trump admire sont les dictateurs, pas les démocrates. Sans aucun doute, lui-même ressemble à un dictateur.

Mais Trump ne s'inspire pas des traditions de totalitarisme européen, ni ne semble même y connaître quoi que ce soit d'ailleurs. Il n'est pas rongé par des griefs historiques, il n'est pas antisémite, il n'a pas essayé de construire un parti pour les masses et il n'exige pas un retour à la tradition ou à un ancien ordre moral. D'ailleurs, en tant que star de la téléréalité et cyberharceleur de sa troisième épouse, il est lui-même une bonne illustration du délitement de tout ordre moral qui aurait éventuellement survécu.

Trump représente plutôt des tendances autocratiques inscrites dans un contexte américain moderne. Il est hostile envers le libre-échange, la liberté de la presse et la liberté de culte tout en faisant semblant d'en reconnaître les mérites. Il est xénophobe, entretient une vision du monde complotiste, il admire la violence et la torture, méprise les faibles et n'entend pas tolérer la critique ou la contestation pacifique –mais le tout au nom de la nécessité de corriger les excès de tolérance. Diverses comparaisons mondiales et historiques éclairent son style et son mode de réflexion: Perón, de Gaulle –sur certains aspects–, Silvio Berlusconi, Vladimir Poutine et d'autres. Mais Trump n'est pas en train d'importer le caudillismo latin ou le despotisme russe. Il tyrannise ceux qui lui résistent dans le dialecte contemporain de la culture américaine des célébrités.

L'autoritarisme de Trump est un amalgame, non pas de la droite et de la gauche, mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée

C'est pour cela que ceux qui avancent que les politiques de Trump sont plus modérées que celles de ses rivaux sont à côté de la plaque. L'autoritarisme de Trump est un amalgame non pas de la droite et de la gauche mais de la gauche cinglée et de la droite cinglée: il pense que George W. Bush était responsable du 11-Septembre et que les musulmans devraient se voir interdire l'accès aux États-Unis. Croire ces deux choses ne fait pas de M. Trump un centriste –ça en fait un extrémiste éclectique. Quant aux politiques, en réalité, il n'en a aucune au sens conventionnel du terme.

Le conflit de la campagne de 2016 ne se résume plus à Trump contre les rivaux de son parti; c'est désormais Trump contre le système politique américain. Ce système est sur le point de rater une occasion en or de le mettre hors jeu. Depuis le Super Tuesday, la réaction du parti républicain face à Trump est un peu encourageante, avec la diffusion de spots anti-Trump à la télévision et des hommes politiques pleins de principes, tel Mitt Romney, qui le dénoncent au milieu de volées d'attaques personnelles. Félicitations au sénateur Lindsey Graham, qui a qualifié Trump de «taré» et affirmé que le parti républicain était devenu «complètement cinglé». D'autres Républicains ont entrepris de qualifier Chris Christie, qui a lâchement soutenu Trump au début du mois, de «républicain de Vichy.» Mais tout cela est probablement insuffisant et arrive trop tard.

Si les Républicains sensés échouent à faire dérailler Trump, la tâche en incombera à Hillary Clinton et aux électeurs de novembre. Selon un sondage YouGov, 55% d'entre eux affirment qu'ils ne voteraient jamais pour Trump. Il existe néanmoins un risque non négligeable qu'il remporte les élections. Les fondateurs des États-Unis ont conçu un ordre constitutionnel visant à éviter l'exercice d'un pouvoir tyrannique. Mais le pays n'a semble-t-il jamais eu à affronter un président dictateur (à ne pas confondre avec les actions dictatoriales d'un président). On peut croire en l'efficacité du système sans pour autant avoir envie de le voir mis à l'épreuve de cette manière.

Une Amérique où Trump peut représenter un des plus grands partis n'est pas du tout le pays dans lequel beaucoup d'entre nous pensions vivre jusqu'à présent. Comme beaucoup, j'ai été beaucoup trop complaisant. Cela pourrait très bien arriver ici, et ça nous pend au nez.

Donald Trump, un nouveau Mussolini?

Source : Le Temps, Joseph s. Nye, JR, 17-03-2016

Les Etats-Unis possèdent des garde-fous institutionnels qui n'existaient pas dans l'Italie de 1922, mais les dégâts causés par le discours de Donald Trump sont considérables, analyse Joseph s. Nye, JR., professeur à Harvard et conseiller d'Hillary Clinton

La cote de Donald Trump dans la course à la nomination au statut de candidat républicain à la présidentielle ne cesse de susciter la consternation. Si l'establishment républicain craint qu'il ne soit pas capable de battre Hillary Clinton, qui sera très probablement désignée par les Démocrates, un certain nombre de Républicains vont jusqu'à redouter encore davantage la perspective d'un Donald Trump élu président. Certains voient même en Trump le risque d'une sorte de Mussolini version américaine.

Quelles que soient ses difficultés, l'Amérique d'aujourd'hui ne saurait pour autant être comparée à l'Italie de 1922. Les garde-fous institutionnels prévus par la Constitution, alliés à une justice impartiale, devraient permettre de maîtriser un showman de téléréalité. Le véritable danger réside moins dans ce que pourrait accomplir Trump, s'il parvenait à gagner la Maison Blanche, que dans les dégâts provoqués par le discours du candidat lors de sa campagne.

Les grands dirigeants savent éveiller leurs partisans au monde

Nous jugeons nos dirigeants non seulement sur l'efficacité de leurs décisions, mais également sur la signification de ce qu'ils créent et de ce qu'ils enseignent à leurs successeurs. La plupart des leaders obtiennent du soutien en faisant appel à l'identité existante et à la solidarité de leur groupe. Mais qualité plus rare, les grands dirigeants savent éveiller leurs partisans au monde, au-delà de leur groupe immédiat.

Après la Seconde Guerre mondiale, dans une France envahie trois fois par l'Allemagne en 70 ans, le leader français Jean Monnet décide qu'une revanche contre l'Allemagne vaincue ne ferait qu'engendrer un nouveau désastre. Il préférera élaborer un plan de développement progressif d'institutions, qui évolueront jusqu'à former l'Union européenne, laquelle rendra dorénavant impensable une telle guerre.

Mandela a œuvré pour élargir l'identité de ceux qui le soutenaient

Autre personnalité aux grandes qualités de leadership, Nelson Mandela aurait aisément pu choisir de définir son groupe comme celui des Sud-Africains noirs, et chercher à venger l'injustice de plusieurs décennies d'apartheid, de même que son propre emprisonnement. Au lieu de cela, Mandela œuvrera sans relâche pour élargir l'identité de ses partisans, à travers ses mots comme au travers de ses actes.

Dans un geste célèbre et hautement symbolique, Mandela apparaîtra lors d'un match de rugby vêtu du maillot des Springboks d'Afrique du Sud, équipe qui un certain nombre d'années auparavant représentait la suprématie blanche sud-africaine. Songez d'une part aux efforts fournis par Mandela pour inculquer une identité large à ses partisans, en comparaison d'autre part à l'approche étroite entreprise par Robert Mugabe au Zimbabwe voisin. Contrairement à Mandela, Mugabe a exploité la douleur de l'époque coloniale pour gagner en soutien, et use désormais de la force pour se maintenir au pouvoir.

Une minorité significative se sent menacée par les changements

Dans l'Amérique d'aujourd'hui, bien que l'économie soit croissante et que le taux de chômage se situe à un faible niveau de 4,9%, de nombreux citoyens se sentent exclus de la prospérité dont jouit le pays. Beaucoup attribuent le creusement des inégalités observé ces dernières décennies à la présence d'étrangers, plutôt qu'aux progrès technologiques, et il est facile de rallier une opposition face à l'immigration et à la mondialisation. Outre ce populisme économique, une minorité significative de la population se sent également menacée par les changements sociaux liés aux différentes couleurs de peau, cultures et ethnies, bien que rien de tout cela ne soit bien nouveau.

Il incombera au prochain président américain d'enseigner à ses concitoyens la manière de gérer un processus de mondialisation considéré par beaucoup comme une menace. Les identités nationales sont des communautés nées de l'imaginaire, en ce sens que peu d'individus partagent directement une expérience auprès des autres membres. Depuis un ou deux siècles, l'État-nation constitue par excellence la communauté imaginée pour laquelle les individus sont prêts à donner leur vie, de même que la plupart des chefs d'État font des questions nationales leur charge suprême. Cette réalité est inévitable, mais elle ne suffit plus dans un monde globalisé.

Des diasporas connectées par-delà les frontières

Sur cette planète mondialisée, la plupart des individus appartiennent à un certain nombre de communautés imaginées – locales, régionales, nationales ou cosmopolites – qui sont autant de cercles entrelacés, entretenus par Internet et par le prix plus abordable des voyages. De véritables diasporas sont aujourd'hui connectées par-delà les frontières nationales. Les catégories professionnelles telles que les avocats appliquent des normes transnationales. Les groupes militants, aussi bien écologistes que terroristes, se lient indépendamment des frontières. La souveraineté n'apparaît plus aussi absolue qu'elle semblait l'être.

L'ancien président Bill Clinton a confié qu'il regrettait de n'avoir pas su réagir efficacement au génocide perpétré au Rwanda en 1994, même s'il n'était pas le seul concerné. Si Clinton avait tenté d'y envoyer des troupes américaines, il se serait heurté à une vive résistance de la part du Congrès. De nos jours, les dirigeants même les plus compétents se trouvent bien souvent tiraillés entre d'une part leur intérêt pour l'international, et d'autre part leurs obligations plus traditionnelles à l'endroit des citoyens qui leur ont confié le pouvoir – comme l'a découvert l'été dernier la chancelière allemande Angela Merkel, après avoir fait preuve d'un leadership audacieux face à la crise des réfugiés.

Dans un monde au sein duquel les individus s'organisent principalement en communautés nationales, tout idéal de pur cosmopolitisme s'avère irréaliste. En témoigne cette réticence généralisée à laquelle nous assistons face à l'immigration. Qu'un chef d'État affirme avoir pour obligation de réduire les inégalités de revenus à l'échelle mondiale ne peut revêtir de crédibilité; en revanche, le fait qu'un tel dirigeant invite à accomplir davantage pour lutter contre la pauvreté, combattre la maladie, et venir en aide aux populations dans le besoin, contribue à éduquer les citoyens.

L'interdiction d'entrée des musulmans se heurterait à un obstacle constitutionnel

Les mots ont leur importance. Comme l'exprime le philosophe Kwame Anthony Appiah, «Tu ne tueras point est un commandement que l'on respecte ou pas. Tu honoreras ton père et ta mère est en revanche une règle que chacun applique à des degrés différents.» Il en va de même du cosmopolitisme par opposition à l'insularité.

À l'heure où le monde entier observe les candidats à la présidence américaine s'affronter autour de questions de protectionnisme, d'immigration, de santé publique globale, de changement climatique et de coopération internationale, efforçons-nous d'identifier à quels aspects de l'identité américaine ces candidats font appel, et observons s'ils s'attachent ou non à éveiller leurs partisans autour de significations plus étendues. Les candidats s'efforcent-ils d'élargir l'angle de vue identitaire des Américains, ou se contentent-ils de mobiliser les intérêts les plus étroits?

Il est fort peu probable que la proposition de Donald Trump consistant à refuser aux musulmans l'entrée aux États-Unis, ou que sa volonté de faire financer par le Mexique la construction d'un mur censé faire obstacle aux migrations, soient admises sur le plan constitutionnel et politique si Trump accédait à la présidence. Encore une fois, nombre de ses suggestions ne consistent pas en mesures politiques destinées à être appliquées, mais en simples slogans visant à attiser la propension populiste et insulaire que démontre une partie de la population.

Étant donné chez lui l'absence de noyau idéologique fort, et sa passion pour «l'Art de la négociation», Trump pourrait bien faire un président pragmatique, malgré son narcissisme. Cependant, les bons dirigeants sont ceux qui nous aident à définir qui nous sommes. Et sur ce point, Trump a d'ores et déjà échoué.


Joseph s. Nye, JR., professeur à Harvard, est l'auteur de l'ouvrage intitulé Is the American Century Over? Il est conseiller d'Hillary Clinton. Project Syndicate, 2016.
www.project-syndicate.org, traduit de l'anglais par Martin Morel.

Source : Le Temps, Joseph s. Nye, JR, 17-03-2016

trump-4

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Trump, c'est l'extreme américain, le but n'est pas de le faire gagner, mais de garantir l'élection de Clinton.
C'est le même principe en France , le système choisit le futur président et il fait monter un candidat extrême face à lui pour forcer l'électorat à voter pour celui que le système a décidé.