vendredi 8 avril 2016

Allemagne : les moteurs de la baisse du chômage, par Romaric Godin

Allemagne : les moteurs de la baisse du chômage, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 31/03/2016

Le taux de chômage au sens national est stable à 6,2 % en mars en Allemagne. (Crédits : © Thomas Peter / Reuters)

Le taux de chômage au sens national est stable à 6,2 % en mars en Allemagne. (Crédits : © Thomas Peter / Reuters)

Le nombre de demandeurs d’emplois a reculé de 87.000 personnes sur un an en mars, en données brutes. Le taux de chômage allemand est le plus bas de l’UE. Quels sont les ressorts qui expliquent cette performance ?

L’emploi allemand demeure le plus vigoureux d’Europe. En mars 2016, le nombre de chômeurs en données brutes et selon la définition de l’agence fédérale de l’Emploi (BA) a reculé de 86.614 personnes à 2,84 millions de demandeurs d’emplois. C’est un recul de 3 % par rapport à mars 2015. En données corrigées des variations saisonnières, le nombre de chômeurs est stable, ce qui met fin à une baisse de cinq mois. Le taux de chômage au sens national est resté stable à 6,2 %, mais au sens de l’Organisation internationale du Travail (OIT), il demeurait en février le plus faible de l’Union européenne avec 4,3 % de la population active.

Malgré les apparences du chiffre brut, le mois de mars n’a donc pas été un grand cru pour l’emploi allemand. Mais il n’en demeure pas moins que le marché du travail allemand reste celui qui a connu l’amélioration la plus spectaculaire de ces dix dernières années. Voici dix ans, en février 2006, le taux de chômage allemand était à 10,5 % au sens de l’OIT, il était même monté à 11,2 % à l’été 2005. La décru est donc spectaculaire. D’autant plus que, la population active a, parallèlement, stagné.

L’effet conjoncturel limité

A l’heure où la France s’interroge sur le fonctionnement de son marché du travail, il n’est pas inutile de rappeler quels ont été les moteurs de cette baisse du chômage outre-Rhin. On peut identifier trois éléments. Le premier est conjoncturel. La croissance allemande s’est montrée depuis 2005 plus vigoureuse en moyenne que celle de la zone euro, à l’exception de 2009. Cette croissance a été un pourvoyeur important d’emplois, notamment dans la construction et l’industrie. Mais, cet effet conjoncturel devient de plus en plus faible. « Depuis la grande récession de 2008 et 2009, les évolutions de la conjoncture et de l’emploi semblent être de plus en plus découplées », souligne la BA dans son bulletin mensuel de ce jeudi 31 mars. Une étude publiée en 2014 estimait que l’impact conjoncturel a été divisé par deux par rapport aux années 1990 et 1970. Ainsi, la force industrielle de l’Allemagne n’est pas le vrai moteur de l’emploi. En un an, en janvier 2016, l’industrie manufacturière a certes créé 89.400 emplois, mais ce n’est que 12,2 % du total des créations.

Le vieillissement de la population

Le deuxième élément expliquant la baisse du chômage allemand est donc structurel. Il s’explique d’abord par une évolution sectorielle liée au vieillissement de la population. Les besoins dans les secteurs des services à la personne, des aides aux personnes âgées et de la santé sont de forts pourvoyeurs d’emploi outre-Rhin. Sur un an, en janvier 2016, pas moins de 207.300 emplois ont été créés dans ces secteurs, soit 28,4 % des emplois créés. Les besoins continuent à être immenses dans ce domaine. Selon les prévisions de l’office fédéral des statistiques, Destatis, la population de plus de 65 ans devrait croître entre 2013 et 2020 de 1,5 million de personnes, puis, entre 2020 et 2030, de 3,5 millions de personnes. Cet élément est structurel, il s’accompagne du reste d’une tension sur le marché du travail du fait de la structure démographique qui soutient le marché du travail. Les sorties massives du marché du travail ont créé un appel d’air qu’il alimente précisément par les besoins qu’il crée. Ce phénomène est naturellement plus lent dans des pays à la démographie plus dynamique et à la protection sociale (publique ou privée) moins développée.

La faiblesse de la productivité dans les services

Un autre moteur des créations d’emplois outre-Rhin réside dans la faiblesse de la productivité du secteur des services. C’est un des apports des « réformes Schröder », mais surtout de la forte modération salariale qui les a accompagnées. Disposant d’une main d’œuvre bon marché et « flexible » en temps, les entreprises des services ont préféré embaucher que d’augmenter leur productivité. Entre 2005 et 2015, la productivité par tête de l’ensemble de l’économie allemande a progressé de 4,8 %. Mais tous les secteurs des services affichent une croissance de la productivité plus faible. Dans le commerce de détail, elle a progressé de 2,3 %, mais dans les services aux entreprises, elle a reculé de 15 % !

Même si la phase de modération salariale est terminée depuis 2013, cette situation de faible productivité perdure. Du coup, ce secteur a créé beaucoup d’emplois sur la période et encore 78.300 entre janvier 2015 et janvier 2016, soit quasi autant que l’industrie. Cette baisse de la productivité liée à une forte modération salariale a été le fer de lance de l’amélioration de la compétitivité allemande dans les années 2005-2010. Avec une conséquence néanmoins au niveau européen. En améliorant par la modération salariale des fournisseurs de services des entreprises la compétitivité externe de ses exportateurs, l’Allemagne a réduit celle de ses “partenaires” de l’union monétaire. Ce qui a conduit à la formation de bulles au sein de l’union monétaire qui ont débouché sur la crise de 2010 et sur une “adaptation” violente qui a créé un fort chômage dans certains pays. Dans une certaine mesure, l’Allemagne a donc « exporté » son chômage vers ces pays. Autre conséquence : la faible productivité dans ces secteurs pourrait conduire à une perte de compétitivité hors coût et à des difficultés d’embauches à terme compte tenu de l’évolution démographique.

Rééquilibrage de l’économie

Enfin, le rééquilibrage en cours de l’économie allemande autour de la consommation des ménages dope l’emploi dans les secteurs du commerce de détail et de l’hôtellerie-restauration. Ce jeudi 31 mars, on a appris la forte hausse de 5,4 % des ventes au détail en février sur un an, une hausse se concentrant précisément sur ces deux secteurs. S’il y a un aspect conjoncturel dans cette progression, on remarque que la fin de la modération salariale depuis 2013 et le quasi plein-emploi permet d’envisager cette forte consommation comme un nouveau « pilier » de l’économie allemande. Logiquement, le secteur de l’hôtellerie-restauration recrute donc aussi beaucoup : 50.000 personnes sur un an en janvier 2016.

Partage accru du temps de travail

Outre la conjoncture et les éléments sectoriels, le dernier élément d’explication de la croissance de l’emploi en Allemagne est le partage du temps de travail. Selon les statistiques publiées par l’institut de recherche de la BA, l’IAB,en mars dernier, le volume d’heures travaillées a progressé en Allemagne de 6,3 % entre 2005 et 2015, mais le nombre de salariés a progressé de 10,8 %. On a donc divisé l’activité pour créer davantage d’emplois. Le nombre d’heures travaillées en moyenne par chaque salarié, en prenant en compte les travaux secondaires, les heures supplémentaires et les arrêts maladies a ainsi, sur cette même période reculer de 2,3 % à 1.303,9 heures annuelles en 2015, soit 30,99 heures par semaine. En incluant tous les actifs, ce nombre d’heures travaillés recule même de 2,9 %.

Une baisse du chômage basée sur les emplois à temps partiel

Le « miracle allemand » de l’emploi est donc celui d’une division accrue du temps de travail. Les salariés travaillent davantage, mais moins longtemps. Le développement des minijobs est un exemple souvent cité pour illustrer ce phénomène, mais l’introduction du salaire minimum fédéral le 1er janvier 2015 a réduit son attrait et le nombre de personne sous ce régime décroît. En revanche, les emplois créés sont encore très majoritairement des emplois à temps partiels. En janvier 2016, 731.000 emplois avaient été créés sur un an et 414.000 d’entre eux, soit 57 % du total étaient des emplois à temps partiel. La tendance est, du reste, très favorable à ces emplois partiels : ils ont progressé entre janvier 2015 et janvier 2016 de 5,2 % contre une hausse de seulement 1,5 % pour les emplois à temps plein.

La baisse du chômage outre-Rhin est surtout fondée sur des emplois à temps partiel. Entre 2005 et 2015, selon l’IAB, le nombre salariés travaillant à temps partiel a progressé de 2,9 millions, tandis que le nombre de salariés travaillant à temps plein est en hausse d’un peu moins d’un million, soit trois fois moins ! Leur proportion sur le total des salariés est passée de 34,3 % à 38,3 %. On constate, du reste, que si le volume d’heures travaillées par des salariés à temps plein a reculé de 0,35 % en dix temps, tandis que le volume d’heures travaillées par des salariés à temps partiel a cru de 10,1 %. Bref, l’essentiel de l’activité nouvelle a été réalisée par des emplois à temps partiel. En Allemagne, les réformes et la flexibilité du marché du travail n’ont donc pas permis de réduire la dualité de ce marché, elle l’a au contraire accrue et ceci ne va pas sans poser de problèmes : plus de 3 millions de salariés souhaiteraient aujourd’hui travailler davantage, selon Destatis. En moyenne, un salarié à temps partiel travaille 19 heures outre-Rhin.

Quelle évolution dans les mois à venir ?

Malgré ces éléments structurels, la situation du marché du travail allemand pourrait se stabiliser, voire ensuite se dégrader tout en restant à un niveau de chômage très faible. Le sous-indice emploi de l’enquête IFO a montré une détérioration ces derniers mois. La situation actuelle de l’industrie allemande n’est pas claire, mais le ralentissement des pays émergents pourrait l’amener à créer moins d’emplois. La hausse des salaires devrait se poursuivre et inciter les chefs d’entreprise à jouer davantage sur les gains de productivité et moins sur les embauches. Enfin, comme le souligne le bulletin mensuel de la BA, l’entrée progressive sur le marché du travail des réfugiés arrivés en 2015 en Allemagne devrait « être progressivement de plus en plus visible. » En mars, on a compté outre-Rhin 54.000 étrangers non-européens au chômage, une hausse de 78,9 % sur un an… La BA assure cependant que les effets à terme de cette immigration pourraient être positifs sur un marché du travail où l’on identifie de plus en plus de manque de main d’œuvre.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 31/03/2016

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