mercredi 20 avril 2016

Donald Trump va l’emporter haut la main. Le créateur de ‘Dilbert’ explique pourquoi, par Michael Cavna

Donald Trump va l'emporter haut la main. Le créateur de 'Dilbert' explique pourquoi, par Michael Cavna

Source : The Washington Post, le 21/03/2016

Par Michael Cavna

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Une planche de « Dilbert. » (Scott Adams / Universal Uclick 1991)

SCOTT ADAMS se souvient du tournant de la partie. Il était jeune et s’améliorait aux échecs, mais le gamin qui menait l’échiquier déjouerait les tactiques d’Adams jusqu’à ce que le jeu tourne en débâcle. À présent, ce gamin ne voulait pas simplement battre Adams ; il voulait l’embarrasser. « Ainsi, après qu’il eut pris les trois quarts de mes pièces et que j’étais découragé, » raconte Adams, « il m’a proposé de tourner la planche et de jouer avec mes pièces. » Et puis effectivement il « gagna » encore.

À ces occasions, Scott Adams, le créateur de « Dilbert, » a perçu le type de personnalité qui aime non seulement le défi de la stratégie de jeu, mais aussi le frisson d’écraser la compétition. C’est le sport de la domination méticuleusement préméditée.

Et cela fait partie des raisons pour lesquelles Adams croit que Donald Trump va gagner la présidence. D’une victoire écrasante.

Adams, en d’autres termes, estime que Trump lui-même a renversé le jeu de la campagne. Dans sa campagne électorale, le magnat de l’immobilier ne fonctionne pas sur la connaissance des chiffres ou l’analyse des données. Il navigue sur nos émotions, dit Adams, et l’attrait sournois pour notre propre irrationalité humaine. Depuis août dernier, en effet, alors que beaucoup qualifiaient l’entrée de Trump de candidature clownesque, le caricaturiste de « Dilbert » avait déjà déclaré que « Le » Donald était un maître des pouvoirs de persuasion, qui allait sans aucun doute monter dans les sondages. Et la semaine dernière, Adams a commencé à bloguer sur la façon dont Trump peut par sa parole démanteler la prochaine candidature de Clinton.

Adams, bien entendu, ne cautionne pas Trump ni ne soutient sa politique. (« Je ne pense pas que mes opinions politiques plaisent à personne, » dit-il à la rubrique Comic Riffs du Post, « pas même à un autre être humain. ») Et il ne dit pas que Trump serait le meilleur président. Ce que le dessinateur installé dans la baie de San Francisco reconnaît, dit-il, c’est l’art méticuleux derrière les techniques d’expression de Trump. Et Donald, dit-il, joue avec ses concurrents comme avec un violon – avant de les battre comme un tambour.

Dit plus simplement : Adams croit que Trump va gagner parce qu’il est « un maître de la persuasion. »

Le magnat de Manhattan est si habile dans sa force de persuasion, qu’Adams croit que le candidat aurait pu fonctionner en tant que démocrate et, en choisissant d’autres sujets brûlants, encore remporter cette présidence. En d’autres termes : Trump est un tel maître en stratégie linguistique qu’il aurait pu retourner l’échiquier politique et encore occuper le terrain.

Adams ne prétend pas être un analyste politique expérimenté. Ses références exposées dans cette arène, dit Adams – qui ne possède qu’un Master en administration des entreprises de l’université de Californie à Berkeley – attestent largement sa qualification d’hypnotiseur et, en tant qu’écrivain, d’auteur de livres de gestion, un éternel étudiant des techniques de rhétorique persuasive. (Son ouvrage de développement personnel est intitulé « Comment échouer à presque tout et toujours gagner gros : un peu l’histoire de ma vie. »)

« Le plus important quand vous étudiez l’hypnose, c’est que vous apprenez que les humains sont irrationnels, » dit Adams à Comic Riffs. « Jusqu’à ce que vous compreniez cela, l’hypnose est difficile à appliquer. […] Pour moi, ce fut ce grand réveil de comprendre que les humains sont profondément irrationnels, et ça a eu probablement la plus grande influence sur moi en terme d’écriture. »

« C’est un truc que j’ai appris de Bil Keane, » le défunt créateur de « Family Circus », explique Adams à Comic Riffs. « Il m’a essentiellement appris à cesser d’écrire pour moi-même, ce que j’ai compris que je faisais – en écrivant une bande dessinée que je voulais lire. »

Donc Adams a pris une nouvelle orientation pour écrire davantage sur les lieux de travail, et le « Dilbert » qui a éclos au début des années 90 s’est intéressé « à cette grande partie de la vie des gens invisible au reste du monde et à la centaine de façons différentes de souffrir. »

« En mentionnant simplement cet univers, » dit Adams, la bande dessinée s’est connectée avec les lecteurs « à un niveau émotionnel. »

Et n’est-ce pas ce que fait Trump essentiellement, à son tour ? Il reconnaît la souffrance de certains, dit Adams, et ensuite joue de l’émotion qu’elle produit.

Et il améliore cette approche, dit Adams, en « exploitant le business model » comme un entrepreneur. Dans ce modèle, dans lequel « l’industrie de l’information n’a pas la possibilité de changer […] les médias n’ont pas vraiment le choix d’ignorer les sujets les plus intéressants », dit Adams, affirmant que Trump « peut toujours être le sujet le plus intéressant, s’il n’a rien à craindre et rien à perdre. »

Le fait de n’avoir rien d’essentiel à perdre augmente alors ses chances de gagner, parce cela élargit son domaine de jeu rhétorique. « La psychologie est la seule compétence nécessaire pour être candidat à la présidentielle, » écrit Adams, en ajoutant : « Trump connaît la psychologie. »

Dans ce contexte, voici ce que ce candidat Trump fait pour gagner les cœurs et les esprits de la campagne, selon Scott Adams :

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– Avant de faire notre business plan pour l’année prochaine, regardons si nous nous y sommes tenus l’an dernier.

– On a fini par ne rien faire de ce qui était dans notre plan, comme tous les ans.

– Pourquoi ne pas faire l’impasse cette année ?

– Ce serait irrationnel de ne pas avoir de plan.

« Dilbert. » (par Scott Adams / Universal Uclick)

  1. Trump sait que les gens sont fondamentalement irrationnels.

« Si vous considérez les électeurs comme rationnels, vous serez un homme politique épouvantable, » écrit Adams dans son blog. « Les gens ne sont pas programmés pour être rationnels. Nos cerveaux ont évolué simplement pour nous garder en vie. Les cerveaux n’ont pas évolué pour nous offrir la vérité. Les cerveaux nous projettent simplement des films dans nos esprits pour nous maintenir sains et motivés. Mais rien de tout cela n’est rationnel ou vrai, sauf peut-être parfois par hasard. »

  1. Sachant que les gens sont irrationnels, Trump a pour but de séduire à un niveau émotionnel.

« La preuve est que Trump ignore complètement la réalité et la pensée rationnelle en faveur de la séduction émotionnelle, » écrit Adams. « Bien sûr, une grande partie de ce que dit Trump fait sens pour ses partisans, mais je vous assure que c’est une coïncidence. Trump dit tout ce qui lui donne le résultat qu’il veut. Il a compris que les hommes sont à 90 % irrationnels et agit en conséquence. »

Adams ajoute : « Le vote des gens est fondé sur l’émotion. Un point c’est tout. »

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– Quelles chances y a-t-il pour que tu aies fait cette feuille de calcul sans erreur critique ?

– Quelle importance, du moment que ça me donne le résultat que je veux ?

– Ça devrait avoir de l’importance.

– Mais demande-toi si ça en a.

« Dilbert. » (par Scott Adams / Universal Uclick)

  1. En agissant selon l’émotion, les faits ne comptent pas.

« Alors que ses adversaires perdent le sommeil à essayer de mémoriser les noms des dirigeants étrangers – au cas où quelqu’un le demande – Trump sait que c’est une perte de temps…, » écrit Adams. « Il y a beaucoup de faits importants que Trump ne connaît pas. Mais la raison pour laquelle il ne connaît pas ces faits est – en partie – qu’il sait que les faits ne comptent pas. Ils n’ont jamais compté et ne compteront jamais. Alors, il les ignore.

« Juste en face de vous. »

Et citer des chiffres qui pourraient ne pas exactement correspondre aux faits réels peut cependant ancrer ces chiffres, et ces faits, dans votre esprit.

  1. Si les faits ne comptent pas, vous ne pouvez pas vraiment avoir « tort ».

Trump « ne s’excuse pas ni ne se corrige. Si vous n’êtes pas formé à la persuasion, Trump semble stupide, mauvais, et peut-être fou, » écrit Adams. « Si vous comprenez la persuasion, Trump est parfaitement à la hauteur la plupart du temps. Il ignore la pensée rationnelle inutile et les données objectives et martèle sans cesse ce qui compte (les émotions). »

« Est-ce que l’engagement de Trump dans la citoyenneté par la naissance vous perturbe ? » continue à demander Adams. « Vous demandez-vous comment Trump pouvait croire qu’Obama n’était pas un citoyen ? La réponse est que Trump n’a jamais cru quoi que ce soit sur le lieu de naissance d’Obama. Les faits ne sont pas pertinents, il les ignore tout en trouvant une place dans le cœur des conservateurs. Pour plus tard.

« C’est pour plus tard. Il s’y prend à l’avance. »

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– Est-ce que tu préfères me préparer et me servir ma nourriture préférée maintenant ou dans une minute ?

– Pourquoi est-ce que tu utilises toujours cette technique manipulatrice de me faire penser après la vente ?

– Parce que ça marche.

– Dans une minute ! Pas une seconde avant !

« Dilbert. » (par Scott Adams / Universal Uclick)

  1. Avec moins de faits en jeu, il est plus facile de tordre la réalité.

Steve Jobs est célèbre pour avoir cherché à créer des « champs de distorsion de la réalité » afin de répondre à ses besoins et atteindre ses fins. Trump emploie des techniques similaires, et apparemment peut être aussi susceptible quand sa « réalité » est contestée. « Le Maître de la persuasion déformera la réalité jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il veut, » écrit Adams, notant que Trump en est déjà « presque à la moitié ».

(Parmi les techniques de persuasion que Trump utilise pour aider à tordre la réalité, dit Adams, figure la répétition de phrases ; « penser après la vente » [faire penser à une conséquence de la vente, comme si la vente était déjà faite et devenue une donnée de base du raisonnement, NdT] de sorte que la première partie de sa prémisse est indiquée comme une donnée, et sachant l’attrait de la réponse la plus simple, en liaison avec le concept du rasoir d’Ockham.)

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– Il paraît que vous traversez une transition de l’identité.

– Non, j’ai juste une mauvaise position à force de regarder un écran toute la journée. Je ne me transforme pas littéralement en Quasimodo.

– Dommage, parce que nous avons besoin d’une nouvelle mascotte dans l’entreprise et vous seriez parfait.

« Dilbert. » (par Scott Adams / Universal Uclick)

  1. Pour tordre la réalité, Trump est un maître des politiques identitaires – et l’identité est la plus forte persuasion.

Pensez-vous que ce soit une coïncidence si Trump a appelé Megyn Kelly une bimbo, puis qu’elle s’est faite faire une coupe de cheveux qui n’est pas du style bimbo, mais plutôt… eh bien, Trumpienne ?» écrit Adams. « Cela ne semble pas une coïncidence à ce manipulateur expérimenté. »

Une façon d’y parvenir est par le déploiement de « coups linguistiques mortels » qui touchent au vif, et modifient la perception de deux manières.

« Les meilleurs coups linguistiques mortels de Trump, » écrit Adams, « ont les qualités suivantes : 1. un mot dans l’air du temps généralement pas utilisé dans la politique ; 2. qui concerne l’aspect concret du sujet (de sorte qu’on s’en souvient toujours). »

Adams ajoute : « L’identité est toujours le plus fort niveau de persuasion. La seule façon de le battre est avec des trucs sales ou un scénario d’identité plus fort. […] [Et] Trump est en bonne voie pour s’approprier l’identité des Américains, mâles alpha, et les femmes qui aiment les mâles alpha. Clinton est en bonne voie pour s’approprier l’identité des femmes en colère, des hommes bêta, des immigrants et des minorités marginalisées.

« Si c’était du poker, quelle main vous semblerait la plus forte pour une élection nationale ? »

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– Est-ce que je peux vous poser des questions sur votre voyage vers le succès ?

– Je crains le pire.

– J’essaie de déterminer quel pourcentage du succès d’une personne est de la pure chance.

– Par exemple qui vous a embauché pour votre premier vrai emploi ?

– Mon père. Mais pour ma défense, je suis bon en entretien.

« Dilbert. » (par Scott Adams / Universal Uclick 2016)

Source : The Washington Post, le 21/03/2016

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

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