mardi 19 avril 2016

Staline aussi voulait sa “solution finale”, par Michel Colomès

Staline aussi voulait sa "solution finale", par Michel Colomès

Source : Le Point, Michel Colomès, 13-04-2016

Si le dictateur soviétique n’était pas mort le 5 mars 1953, des millions de Russes auraient été déportés en Sibérie, simplement parce qu’ils étaient juifs.


Svetlana Alliluyeva, la fille de Staline, raconte qu’au moment de mourir celui qu’une propagande enamourée avait baptisé le petit père des peuples a ouvert une dernière fois les yeux. Son regard « à la fois fou et méchant », dit-elle, a balayé l’un après l’autre tous les dirigeants qui se trouvaient au pied de son lit et il a levé le doigt en un geste de menace qui a glacé d’effroi tous ceux qui étaient venus assister à ses derniers instants. Puis – au grand soulagement de tous –  il a rendu l’âme.
C’est l’un des passages surprenants du livre que l’historien américain Joshua Rubenstein vient de publier aux États-UnisLes Derniers Jours de Joseph Staline. Jusqu’au bout de son dernier souffle, celui qui restera comme l’un des dictateurs les plus sanglants de l’histoire aura fait régner la terreur, non seulement dans son peuple, mais surtout dans son entourage immédiat.

Des trains prévus pour les convois de déportés

Ce que rappelle ce livre, c’est aussi comment la mort a empêché le numéro un soviétique de rivaliser une fois de plus dans l’horreur avec Hitler. Tout était prêt, en effet, pour déporter en Sibérie et au Kazakhstan deux millions et demi de juifs russes. Des camps, proches du cercle polaire, avaient été construits et d’autres, agrandis. Des gardes-chiourmes avaient été engagés. Des trains prévus pour les convois de déportés. Dans les dernières semaines de sa vie, Staline, qui avait déjà envoyé au goulag deux millions et demi de personnes, dont 35 000 enfants, s’apprêtait à doubler, avec les rafles de juifs, le chiffre de ces hommes et de ces femmes promis à une mort plus ou moins lente.
En fait, comme souvent dans sa conduite impitoyable du peuple immense de l’empire soviétique, Staline avait besoin, pour ranimer l’esprit combatif de ses fidèles, d’un nouvel ennemi de l’intérieur.
Le 15 janvier 1953, la Pravda révèle qu’un complot visant à assassiner plusieurs dirigeants vient d’être découvert. Les assassins, dit le journal du pouvoir, sont les médecins qui les soignaient et, en réalité, les empoisonnaient à petit feu. Des médecins qui tous se trouvent être juifs. Dès lors, les arrestations vont se multiplier, les interrogatoires musclés se succéder et les aveux être abondamment publiés dans la Pravda. C’est ce qu’on a appelé « le complot des blouses blanches ». Même le médecin privé de Staline, le docteur Vinogradov, n’y échappera pas.

« les cosmopolites sans racines »

Mais les journaux officiels ne se contentent pas de révéler les desseins des comploteurs. La campagne antisémite, latente depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est relancée dans le courant du mois de février 1953. Non seulement en URSS, mais aussi dans tous les « pays frères » contre « les cosmopolites sans racines ». Le maître du Kremlin a lui-même donné le ton en déclarant au Politburo que « tout sioniste est un agent du renseignement américain ». La préparation psychologique de la grande déportation à venir est donc bien lancée lorsque Staline meurt en quelques heures et dans des conditions qui restent encore mystérieuses, le 5 mars 1953.
Les inculpés du complot des blouses blanches seront tous libérés dans les semaines qui viennent. Et les goulags du Grand Nord prévus pour recevoir des millions de juifs resteront en partie vides. Malenkov, le successeur de Staline pour deux ans, fera même preuve d’une générosité, certes limitée, mais qui permettra de ramener dans leurs foyers plus d’un million de déportés du goulag (sur deux millions et demi) et d’abandonner un certain nombre de travaux pharaoniques, comme une nouvelle ligne de chemin de fer dans le nord de la Sibérie qui à elle seule faisait travailler dans des conditions épouvantables plus de 100 000 prisonniers.
La mort de Staline aura sans doute permis d’éviter une Shoah soviétique. Mais il faudra encore patienter quarante ans avant que ne s’écroule le système qui aurait pu mettre en œuvre cette autre solution finale. Celui que Ronald Reagan appelait fort justement « l’empire du mal ».
Source : Le Point, Michel Colomès, 13-04-2016
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Staline, Hitler, même combat. Quand l'Occident fait dans le révisionnisme

Source : Kakoi, Mattbuge, 14-04-2016
Le Point n'étant vraiment un journal de référence que pour une certaine élite parisienne, on le consulte assez peu ici. Mais un édito a attiré notre attention. Sa plume, Michel Colomès, ancien directeur de la rédaction, a manifestement eu envie de sévir pendant ses années de retraite. A 79 ans, le digne journaliste décide donc de verser de plain-pied dans le révisionnisme – mais aucune crainte ici, il s'agit de révisionnisme validé par les instances supérieures et subventionné par l'Etat. Aucune chance de voir Colomès et le Point être traînés devant les tribunaux. Ouf !
Faisant l'article du nouvel ouvrage de Joshua Rubenstein, historien américain certainement parfaitement impartial, Colomès apporte une pierre à la délirante propagande antirusse qui sévit depuis maintenant quelques années. L'édito démarre en fanfare : Staline aussi voulait sa «Solution Finale». Le ton est donné. Le département comptable des «clics» du Point a dû faire sauter le champagne. Colomès aurait réussi à faire un parallèle dès le titre avec Poutine, le caviar aurait été servi.


Petit rappel historique

Mais à défaut de réussir à placer Poutine dès le chapeau, la vieille plume était de toute évidence inspirée et nous dit d'entrée de jeu : Son regard « à la fois fou et méchant », dit-elle [Svetlana, la fille de Staline], a balayé l'un après l'autre tous les dirigeants qui se trouvaient au pied de son lit et il a levé le doigt en un geste de menace qui a glacé d'effroi tous ceux qui étaient venus assister à ses derniers instants. Puis – au grand soulagement de tous – il a rendu l'âme. Staline, la version géorgienne de Méphistophélès.
Ce qu'il y a de pratique, avec Staline, c'est qu'il est indéfendable. Ses politiques ayant causé la mort de tant d'innocents, il est possible de raconter absolument n'importe quoi.
Loin de nous l'idée de présenter Staline comme un philosémite. Nombre d'historiens s'accordent à dire qu'il rechignait à ce que Svetlana épouse un Juif. Mais Staline rechignait à tout ce qu'il n'avait pas décidé lui-même. Ni antisémite, ni philosémite, Staline était un pragmatique. «Pragmatique» : terme ambivalent en Occident, généralement positif quand il s'agit de politique libérale, négatif, quasiment synonyme d'affreux cynique, quand on en vient à des systèmes différents.
Staline a passé sa vie entouré de Juifs. Dans l'underground révolutionnaire et pendant la révolution d'abord, la plupart des meneurs s'étant trouvés être juifs. Même si la réécriture de l'Histoire dira sans doute un jour le contraire, le fait qu'il ait passé ces derniers à la moulinette des grandes purges n'avait strictement rien à voir avec leurs origines. Sa haine de Trotski non plus. Il avait d'autres griefs envers le bouillonnant théoricien de la révolution permanente soutenu par l'Occident. Et puis, un énième Juif, Kaganovitch, fut un de ses collaborateurs les plus proches et demeura à ses côtés jusqu'à la fin. Rien à voir avec le général juif allemand Von Manstein qui dissimula sa judaïté en achetant son «Von» pour mieux faire carrière dans l'univers du Troisième Reich.
Lorsque la question de la création d'un Etat juif tomba sur le tapis et que la Palestine donnait quelques maux de tête à l'Occident, Staline proposa de leur refourguer une partie de la Sibérie, le Birobidjan, région disposant toujours à l'heure actuelle du statut d'oblast autonome juif en Russie. Mais la région ne plut guère aux élites internationales qui lorgnaient sur la Palestine. Et le fait est que l'Etat d'Israël n'aurait jamais pu être créé sans l'appui de Staline.
Nécessaire inculture du journaliste
Colomès ne fait évidemment pas état de ces quelques détails d'importance. Calcul éditorial ? Sans doute pas. Le fait est que nos journalistes occidentaux font preuve d'une ignorance crasse – tolérable chez un jeune comme Benoît Vitkine, moins chez un ancien comme Colomès. Quand ce dernier mentionne le complot des «blouses blanches», la dernière manigance du vieux Joseph, il la résume ainsi : Staline avait besoin, pour ranimer l'esprit combatif de ses fidèles, d'un nouvel ennemi de l'intérieur. Colomès néglige ici plusieurs choses.
A cette époque, Staline n'a pas du tout besoin de «ranimer l'esprit combatif de ses fidèles», au contraire. Il est en train de rebattre les cartes. Comme il l'a fait quinze ans auparavant, comme Ivan le Terrible l'avait fait des siècles plus tôt, il est en train de rajeunir la troupe de ses serviteurs et de supprimer la génération précédente, devenue trop puissante. Le géorgien Beria, le russe Molotov, le juif Kaganovitch, l'arménien Mikoyane… tous sont voués à disparaître dans la broyeuse stalinienne au profit d'une nouvelle génération.
Le complot des blouses blanches (ces médecins «juifs» qui auraient voulu assassiner les leaders soviétiques) n'était d'abord qu'une énième variation des symphonies manipulatoires staliniennes, dédiées à la destruction de ses rivaux. Staline n'avait que faire des Juifs, catégorie de citoyens parmi tant d'autres en URSS, même si sa paranoïa pouvait lui faire penser qu'ils constituaient une potentielle «cinquième colonne». Mais Staline avait compris que son ennemi le plus important était devenu Béria, brillant politicien responsable de la police politique, du programme nucléaire, et qui avait été en charge, pendant la guerre… des affaires juives. Professionnel du billard à trois bandes, Staline a monté de toute pièce le complot des blouses blanches pour faire tomber Béria. Inutile de crier au complotisme, même une émission très «main stream» comme Rendez-vous avec X sur France Inter ne faisait que valider cette question. C'est dire…
Colomès semble tellement ignorer les méandres de la politique qu'il en vient même à asséner une belle ânerie : Malenkov, le successeur de Staline pour deux ans, fera même preuve d'une générosité, certes limitée, mais qui permettra de ramener dans leurs foyers plus d'un million de déportés du goulag (sur deux millions et demi) et d'abandonner un certain nombre de travaux pharaoniques, comme une nouvelle ligne de chemin de fer dans le nord de la Sibérie qui à elle seule faisait travailler dans des conditions épouvantables plus de 100 000 prisonniers.
Ce grand bienfaiteur n'est pas du tout Malenkov mais Béria, cet horrible KaGéBiste qui, le lendemain de la mort de Staline fit tout pour libérer de la main d'œuvre. Comme a pu le dire sa fille : si Béria était né aux Etats-Unis et pas en Russie, il serait devenu le PDG de General Motors.
Manipulation psychologique de l'Histoire
Mais ici on touche un des points intéressants de l'article de Colomès. Lorsqu'on lit l'article, en arrivant à la mention de ces prétendues libérations par le gros Malenkov, on a l'impression qu'il s'agit de juifs libérés. L'effet est d'autant plus fort. Staline voulait les foutre au four, et, finalement, ils ont pu s'en sortir grâce à l'intervention d'un clown. En réalité, les Juifs n'étaient qu'une minorité du système du goulag. Ils n'en représentaient qu'un faible pourcentage des détenus et qu'un faible pourcentage des libérés (comme quoi, le système soviétique était équitable). Mais peu importe, il faut tout centrer sur la minorité dominante en Occident donc recentrons.
Parlons donc «de trains», de «gardes-chiourmes», de «déportations» histoire de frapper l'imagination totalement parasitée du lecteur afin que la reductio ad hitlerum soit paufinée. Mais Colomès fait encore mieux : Dans les dernières semaines de sa vie, Staline, qui avait déjà envoyé au goulag deux millions et demi de personnes, dont 35 000 enfants, s'apprêtait à doubler, avec les rafles de juifs, le chiffre de ces hommes et de ces femmes promis à une mort plus ou moins lente. La première partie de la phrase est annihilée par la seconde. Dans les cerveaux formatés, l'amalgame se fait naturellement. Même les 35 000 enfants (sans doute russes, kazakhs, arméniens…). Même eux, dans cette phrase, deviennent juifs. Alors même que ces derniers n'ont pas été déportés puisque :
La mort de Staline aura sans doute permis d'éviter une Shoah soviétique.
Le fantasme devient histoire officielle mais le mot est lâché. «Shoah». Une shoah soviétique qui n'a pas existée, mais pour laquelle on peut sortir les violons quand même. On pourrait même croire que Colomès, Rubenstein et consorts regrettent un peu qu'elle n'ait pas existé, cette entreprise de destruction des Juifs de Russe. C'eût été finalement plus simple pour pointer du doigt la Russie et y infliger un calvaire psychologique aux générations suivantes, comme en Allemagne.
Mais en fin de compte, tout cela est très très cohérent. Cela va de pair avec la réécriture de l'Histoire entreprise depuis 1945 par Hollywood. On sait à quel point les masses européennes ont été lobotomisées pour croire de nos jours que les Etats-Unis avaient défait Hitler. L'opération de propagande est permanente. Récemment, Tarantino était allé jusqu'à s'approprier le cadavre du Führer. Il y a peu on n'a pas hésité à dire que les Ukrainiens (ces mêmes Ukrainiens au sein desquels pullulent les néonazis) avaient libéré Auschwitz. Et bientôt une comédie musicale en glucose va écumer les provinces françaises pour faire entre à coup de marteau dans la tête des enfants que la Seconde guerre mondiale se résume au génocide des Juifs et au débarquement de Normandie.
Mais voler la victoire à la Russie n'était pas suffisant. Il faut manifestement passer à l'étape supérieure, et montrer que, sans les Etats-Unis, la Russie aurait très certainement fait la même chose que l'Allemagne nazie. Les mythes s'écrivent sur le temps long. Le bourrage de crâne va continuer pendant des lustres. Le vingtième siècle doit être, dans les esprits, le siècle de la naissance de l'empire du bien. Et Colomès, enfant de la Guerre Froide, participe volontiers à cette entreprise : Mais il faudra encore patienter quarante ans avant que ne s'écroule le système qui aurait pu mettre en œuvre cette autre solution finale. Celui que Ronald Reagan appelait fort justement «l'empire du mal». Après avoir réussi à faire de Hitler et Staline des synonymes dès le titre de son article, il arrive à opérer une contradiction qui ne le choquerait pour rien au monde. En début d'article, Staline était un fou antisémite isolé, en fin de papier, nous sommes passés à l'URSS, coupable dans son ensemble. Heureusement, effectivement, que la puissance américaine, la plus destructrice de l'Histoire, était là, heureusement qu'elle est encore là ! Et vivement que les Russes s'estiment – comme les Allemands, comme les Français – coupables collectivement, on pourra alors totalement réécrire l'Histoire et se livrer au racket habituel.
Source : Kakoi, Mattbuge, 14-04-2016

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