jeudi 7 juillet 2016

Affaire Kerviel : quand la justice se moque du monde…

Affaire Kerviel : quand la justice se moque du monde…

A mon sens (ce n’est que mon avis personnel, pas une accusation) l’affaire Kerviel me semble assez simple :

  • Kerviel est probablement coupable de faux et abus de confiance ;
  • la direction de la banque ne savait probablement pas qu’il jouait avec 50 milliards ;
  • MAIS il est probable que la banque (ou plutôt beaucoup à l’intérieur) savait qu’il ne fallait pas regarder de près ce qui ce passait dans ces services qui ramenaient beaucoup d’argent

C’est d’ailleurs une hypothèse qui rend logique les faits et comportements…

Il n’y a d’ailleurs qu’à voir la rentabilité hors-norme de la Société générale à l’époque Kerviel :

On rappelle que la Banque “casino” (BFI) de la Sogé représentait en 2006 30 % de la banque, mais 50 % des profits, avec une rentabilité des capitaux après impôts de près de 50 % :

Bref, “mais qui diable aurait pu penser qu’ils faisaient n’importe quoi ????”

Eh bien lisons le propre rapport de l’inspection générale de la Société Générale sur l’affaire Kerviel – il est à lui seul édifiant…

Le rapport de l’Inspection Générale de la Sogé (rapport Green)

Qu’y lit-on ? C’est assez simple :

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Bref, la banque est un gros gros bras cassé en contrôle…

Qu’a déclaré Kerviel à sa banque comme bénéfice en 2007 ?

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Donc ce petit trader indique avoir réalisé à lui seul 43 millions d’euros de bénéfice – tout va bien, où est le problème ?

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Bon, ok, à lui seul Kerviel représente donc 60 % du bénéfice de son service sur une activité qui n’est pas censée rapporter plus de 3 millions (ce qui, au vu de son activité, indique qu’il joue en fait sur un volume de 8 à 10 fois supérieur à celui des autres…)…

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Mais qui qui qui aurait pu s’en rendre compte ?

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Bon, 74 alertes, ça va ça vient, hein – dont 39 en rapport direct avec la fraude...

Allez, je vous les mets :

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La réponse judiciaire

La condamnation de la Sogé par la Commission bancaire :

“Sur les contrôles hiérarchiques

“Considérant qu'il ressort de l'instruction que de graves défaillances ont eu lieu dans le suivi et le contrôle de premier niveau, telles qu'elles étaient définies par les règles internes pour le premier niveau hiérarchique de l'opérateur de marché Monsieur A (ci-après l'opérateur) ; que, notamment, le suivi détaillé et quotidien de l'activité de cet opérateur n'a pas été assuré, alors que les informations mises à la disposition de la hiérarchie, en particulier la balance de trésorerie des portefeuilles gérés par cet opérateur, ont fait ressortir tout au long de l'année 2007 des soldes et des variations difficilement explicables au regard des activités confiées à celui-ci ; qu'aucun contrôle n'a été fait, sur la copie envoyée à la hiérarchie de l'opérateur, des réponses du service de déontologie à EUREX qui avait demandé des explications sur la stratégie sous-jacente à des prises de positions ; que les écarts identifiés à l'occasion des travaux de réconciliation des résultats comptables et de gestion, dont la ligne hiérarchique directe a été avisée en mars et avril 2007, n'ont pas donné lieu à des demandes de justifications à l'opérateur ; qu'il n'y a pas eu ultérieurement d'analyse suffisante de l'origine des gains affichés par cet opérateur, en dépit du fait que ces résultats très favorables paraissaient difficilement explicables par les seules opérations qu'il était autorisé à effectuer, notamment dans les conditions de marché prévalant au 4e trimestre 2007 ; que la hiérarchie n'a pas non plus veillé à ce que l'opérateur applique la procédure interne en vigueur en matière de prise de congés, qui fait partie du dispositif de surveillance permanente et a une importance spécifique pour les activités de marché ;”

Sur les contrôles permanents exercés par les autres services

Considérant qu'il ressort de l'instruction que les agents des unités chargées des contrôles, notamment du post-marché et du suivi de marché, étaient insuffisamment sensibilisés aux problématiques de fraude et de détournement, la détection de la fraude devant faire explicitement partie de leurs missions ; que, alors que ces services disposaient de certaines données dont le contrôle, s'il avait été effectué au niveau individuel, aurait pu permettre d'identifier les positions de l'opérateur contraires aux règles, leurs diligences se consacraient en priorité à l'apurement des anomalies ; que les écarts apparus à plusieurs reprises en 2007 n'avaient pas suscité d'investigations suffisamment approfondies, alors que les explications et justificatifs apportés par l'opérateur comportaient des anomalies ou des carences ; qu'en outre, il n'existait pas de dispositif de profilage permettant d'identifier un nombre élevé d'anomalies imputables à un même opérateur ; que de manière plus générale, ces services, qui étaient très chargés par les tâches d'exécution, manifestaient peu de recul par rapport à la nature des opérations ou des mouvements traités ; que, organisés par produit, en dehors de toute approche transversale, ils ne disposaient pas d'une vision globale des opérations en suspens ou en anomalie par « desk » ou centre d'activité ; que, de même, les investigations conduites par la Direction des risques dans le cadre du traitement d'écarts entre les résultats économiques et comptables et la réaction de la Direction de la déontologie aux demandes d'informations qui lui ont été transmises par EUREX sur les opérations initiées par cet opérateur n'ont pas été conformes à ce qu'exigeait la prévention du risque de fraude ; que ces faiblesses étaient de nature à affecter dans ce domaine la qualité du système de contrôle interne des activités de marché, faute d'être compensées par d'autres contrôles ;

Considérant, en outre, que sur plusieurs points les procédures internes, conçues pour la maîtrise des risques de marché, n'étaient pas bien adaptées au suivi du risque opérationnel et ont permis que les manoeuvres d'occultation ne soient pas détectées ; qu’il en est ainsi par exemple de l'absence d'échange de confirmations avec les contreparties internes au groupe ou de l'abandon du contrôle quotidien des flux dits de provisions en 2006, suite à l'automatisation des contrôles mensuels ;”

Etc, j’en passe et des meilleures… du genre “les moyens affectés au contrôle permanent étaient insuffisants en termes quantitatifs comme qualitatifs, au regard de la nécessité de prévenir le risque opérationnel” ou “il ressort de l'instruction que la sécurité du système d'information présentait des failles importantes” ou le grandiose “il ressort de l'instruction que le dispositif de limites encadrant l'activité du desk « Delta one » était inadapté au suivi du risque opérationnel en raison en particulier de l'absence de limites sur les positions brutes et sur les positions intra journalières”

Chacun jugera si la sanction consistant en un blâme et 4 millions d’euros d’amende est une réponse du régulateur adaptée à ceci…

Le 1er jugement de Kerviel :

La banque est blanchie…

Le jugement en appel de Kerviel :

La banque est encore blanchie…

Le jugement en cassation de Kerviel

Une vie intelligente développée semble exister à la Cour de Cassation, qui confirme la condamnation pénale, mais casse la condamnation au remboursement intégral de la banque (vu qu’elle a eu un rôle par sa négligence coupable), et renvoie le dossier en appel (on attend toujours le jugement) :

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On verra donc bientôt ce qu’en dira la justice – ce n’est pourtant pas la peine d’avoir fait Polytechnique pour voir qu’il y a un léger souci

Rappelons que, comme la justice a blanchi la banque, l’État a couru au secours de la banque – suivant le classique syndrome de Stockholm (ou la corruption ?) – l’autorisant à déduire fiscalement sa perte, ce qui a coûté environ 2,2 milliards d’euros à l’État

Comme on l’a vu, certains parlementaires ont tenté de défendre le contribuable en interpellant l’État (vérolé).

Moscovici avait répondu à l’époque à la saisie de Marie-Noëlle Lienemann (un petit merci fait toujours plaisir, je lui ai écrit mn.lienemann@senat.fr ):

Et là, c’est formidable, car quand on lit, on voit combien, comme avec Tapie, le ministre défend la banque plutôt que le contribuable, par une malhonnêteté foncière des arguments mis en avant. Le pompon étant :

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Donc “il faut voir s’il y a eu des carences graves de contrôle”, mais à ce stade la justice a dit que “les dirigeants n’étaient pas au courant”, sauf qu’on s’en moque, le but n’étant pas de voir s’ils savaient, mais “s’il y a eu des carences graves de contrôle”, et, pas de bol, c’est mot pour mot ce qu’a dit la Commission bancaire, pourtant citée par le ministre !

À quand la saisie de la Cour de Justice de la République – on parle de 2 milliards là… ?

On admirera la vision de la “journaliste” ici, qui passe son temps à ne pas répondre au seul sujet intéressant : les 2,2 milliards du contribuable et donc à la culpabilité de la banque (celle de Kerviel n’a aucun intérêt général)…

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