dimanche 21 août 2016

Djihadisme : Olivier Roy répond à Gilles Kepel

Djihadisme : Olivier Roy répond à Gilles Kepel

Source : Le Nouvel Obs, Marie Limonier, 06-04-2016

(Illustrations Adrià Fruitós)

(Illustrations Adrià Fruitós)

Depuis que le politologue, spécialiste de l’islam, a émis l'hypothèse d'une révolte nihiliste générationnelle à l'origine du djihadisme européen, le débat fait rage. Dans "L’Obs", il répond à la polémique.

« Islamisation de la radicalité » ou «radicalisation de l’islam»? C’est pour avoir soutenu que la radicalité des jeunes Occidentaux candidats au djihad préexiste à leur islamisation, qu’Olivier Roy est l'objet d'une âpre controverse. Gilles Kepel lui a en effet récemment consacré dans «Libération» une tribune assassine ironiquement titrée «"Radicalisations" et "islamophobie" : le roi est nu». Dans un grand entretien accordé à «L’Obs», Olivier Roy lui répond. Et livre ses analyses sur le salafisme, les quartiers, la laïcité, la sexualité sous Daech, la polémique Kamel Daoud… Extraits.

Kepel – Roy, le clash

« Visiblement, Gilles Kepel s'est lancé dans un combat pour l'hégémonie sur l'islamologie française et la recherche sur le radicalisme. Il me fait un très grand honneur en me désignant comme son rival numéro un. Seulement, il se déconsidère en menant une guerre d'ego, alors qu'un tel champ d'étude ne peut être abordé qu'en travaillant de manière collective et multidisciplinaire. L'humilité s'impose […] Cependant, vous ne comprendrez rien à la dureté actuelle du monde de la recherche si vous n'avez pas en tête les enjeux financiers et de pouvoir qui s'y jouent. Les derniers attentats ont amené gouvernements et fondations à débloquer des sommes considérables. Il y a un marché concurrentiel. De ce point de vue, Kepel est un Rastignac professionnel de très haut niveau. […]»

"Radicalisation de l'islam" ou "islamisation de la radicalité"?

« Il y a une radicalisation de l'islam, c'est évident […] Alors pourquoi je fais la distinction entre les deux ? Parce que la radicalisation djihadiste, pour moi, n'est pas la conséquence mécanique de la radicalisation religieuse. La plupart des terroristes sont des jeunes issus de la seconde génération de l'immigration, radicalisés récemment et sans itinéraire religieux de long terme. Prenez-les tous, les Abaaoud, les Abdeslam, ils ne deviennent pas djihadistes à l'issue d'un parcours de radicalisation religieuse. Mais encore une fois, quand ils se radicalisent, ils en empruntent le répertoire. […]»

Le salafisme, antichambre du djihadisme ?

« […] Jusqu'à maintenant, nous disions, moi y compris, qu'ils devenaient salafis une fois qu'ils étaient djihadistes. Mais je commence à avoir de sérieux doutes, parce que lorsqu'on regarde leur pratique religieuse après qu'ils ont décidé de rejoindre Daech, elle n'est pas particulièrement salafiste.[…] A-t-on vu Abaaoud demander à sa cousine de lui ramener de la viande hallal ? Non, il a mangé son McDo comme tout le monde.[…] Je ne nie pas du tout que le salafisme pose des problèmes de sociabilité importants, mais je ne crois pas à cette doxa de l'antichambre. Parce qu’il faudrait alors montrer qu’il y a une continuité entre la société salafisée et les jeunes radicaux djihadistes. Or ces jeunes ont un mépris complet pour celle-ci. […]»

L’affaire Kamel Daoud

« J'avais précisément refusé de signer la tribune contre Kamel Daoud, […] qui en tant qu'écrivain a le droit d'écrire ce qu'il écrit et d'être excessif, de même que chacun a le droit de critiquer ses opinions. Ce que j'attaque, c'est l'idée qui traîne désormais partout qu'un musulman harcèle parce qu'il est musulman, et qu'un Européen harcèle parce qu'il a une pathologie particulière. Je ne comprends pas cet essentialisme. Qu'on nous dise qu'il y a une culture musulmane machiste, oui ; que la société algérienne soit une société où les femmes ont beaucoup de mal à aller dans l'espace public, oui. Mais qu'ensuite on nous décrive les musulmans, où qu'ils aillent, comme se trimballant avec un petit logiciel culturel de violeur potentiel dans la tête, non. […] Le machisme est la chose la mieux partagée au monde. Regardez Donald Trump […]»

Source : Le Nouvel Obs, Marie Limonier, 06-04-2016

Olivier Roy: “La plupart des djihadistes sont des born again”

Source : La Libre, 19-04-2016

L'islamologue Olivier Roy a dressé lundi soir à l'Institut Royal des Relations Internationales (IRRI-Egmont) le profil type des djihadistes de Daech. Selon lui, “la plupart sont des born again, qui font un retour brutal au religieux. On ne trouve pas de piliers de mosquées, sauf chez certains convertis qui ont passé un an dans une madrassa au Yémen”.

Olivier Roy était à Bruxelles à l'invitation du Palais, où il a eu un entretien avec le roi Philippe.

L'islamologue français s'inscrit en faux contre la théorie selon laquelle les djihadistes seraient en rupture pour des raisons sociales ou par vengeance contre la politique de colonisation menée par les grandes puissances européennes jusque dans les années 60. Il est pour cette raison souvent opposé à l'autre islamologue, Gilles Kepel, avec qui il croise le fer volontiers.

« Beaucoup de jeunes radicaux sont très bien intégrés », dit-il. “Le facteur de paupérisation n'est pas dominant ». Il note que le département français qui a exporté le plus de djihadistes en 2015, en chiffres absolus, n'est pas Marseille, malgré sa forte concentration de Français d'origine maghrébine, mais… les Alpes-Maritimes, « c'est-à-dire Nice », puis en second, Paris. « A ma connaissance, aucun terroriste ne vient de Marseille”, ajoute-t-il.

Depuis les attentats du GIA algérien dans les années 80, le profil type des djihadistes a peu évolué. Mais la vague Daech comporte aussi des traits particuliers : l'attentat suicide (autrefois utilisé par le Hezbollah chiite ou les Tigres Tamouls), l'enrôlement des jeunes femmes (40 % des départs vers la Syrie actuellement, selon lui), la présence assez importante de convertis et des jeunes issus de départements d'Outre-Mer (comme les frères Clain, originaires de La Réunion), le rôle dominant des fratries (comme les frères Abdeslam).

Ce qui frappe Olivier Roy, c'est que cette génération n'est pas inspirée principalement par le salafisme mais se trouve “dans une perspective suicidaire, nihiliste, non utopiste », qui ne fait aucune référence à un conflit particulier. Sa violence est mise en scène par Daech. « On a appris que les exécutions sont répétées (…), qu'il y a un metteur en scène, que les textes sont répétés”, dit-il à propos des macabres vidéos d'exécutions que l'organisation diffuse sur la Toile.

En quelque sorte, Daech serait venu puiser “dans un réservoir existant” dans les pays européens, enrôlant des jeunes issus de l'immigration qui se donnent un rôle de « héros vengeur » dans un monde quasi-virtuel et qui se sont rebellés contre la religion de leurs parents.

Ce qui fait dire au professeur de l'Institut européen de Florence qu'il ne sert à rien de vouloir fermer en Europe les mosquées salafistes pour combattre le terrorisme. Le problème est selon lui ailleurs.

Source : La Libre, 19-04-2016

 

Olivier Roy sur le djihadisme : “C’est un grand réseau d’une remarquable continuité”

Source : Europe 1, Olivier Roy, 26-03-2016

Olivier Roy.@ JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Olivier Roy.@ JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Olivier Roy, politologue et spécialiste de l’islam, était l’invité de David Abiker, samedi. Selon lui, les djihadistes sont tous liées par des liens étroits.

INTERVIEW -Quelles leçons tirer des arrestations en série survenues à Paris et Bruxelles après les attentats de mardi et de la somme d’informations collectées depuis le 13-Novembre ? Pour y répondre, Olivier Roy, politologue et spécialiste de l'Islam, était l’invité de David Abiker dans C’est arrivé cette semaine.

Vaste réseau, vastes ramifications. Le principal enseignement des diverses arrestations est, selon le politologue, la démonstration que les attentats de Bruxelles “sont liés par leurs auteurs et complices à ceux de Paris.” Il n’y a pas tant de réseaux radicaux et de cellules dormantes. C’est un grand réseau d’une remarquable continuité. Toutes les personnes qui ont agi se connaissent.” Le politologue rappelle qu’il y a quand même quatre fratries parmi les terroristes. Mais “tous se connaissent depuis la petite enfance ou ont fait de la prison ensemble”. Ils sont aussi liés à d’autres réseaux qui ont commis d’autres attentats.

Phénomène nouveau dans le terrorisme. Ce phénomène de réseau imbriqué est nouveau. “Dans les groupes terroristes, on trouve en général des gens qui ont des motivations personnelles de radicalisation et qui se mettent ensemble parce qu’ils partagent les mêmes idées, mais qui peuvent venir de milieux différents. Là, on a l’impression que c’est une bande de copains, voire la fratrie, qui se radicalise toute seule ou via un intermédiaire, en général l’un des frères qui est allé en Syrie. Cette proximité va de pair avec un genre de transmission du flambeau d’anciens terroristes.”

A la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. On s’éloigne ainsi de la “théorie de la 5e colonne”, qui veut que le djihadisme peut se réveiller partout en France. “Ces jeunes sont à la marge de la société mais aussi de la population musulmane elle-même. Ils sont très peu socialisés, aucun d’entre eux n’est un pilier de mosquée. On ne les retrouve pas dans les mouvements pro-palestiniens, ni dans les émeutes de 2005. Ils vivent dans leur petit monde fermé.” Pour Olivier Roy, c’est à la fois une bonne nouvelle – dans le sens où l’on n’assiste pas à une radicalisation de la population musulmane en Europe- mais c’est aussi une mauvaise nouvelle sur le plan technique parce que ces réseaux de frères et de copains sont très difficiles à pénétrer pour la police.

“La France pas spécialement visée”. Pour le politologue, il ne s’agit pas d’un problème franco-belge. Il rappelle les attentats de Madrid en 2004, en Grande-Bretagne en 2005 et 2007. Si, pour lui, les attentats se déroulent en France en ce moment, c’est parce qu’il y a dans le territoire “une surreprésentation des jeunes de seconde génération d’origine du Maghreb dans les volontaires qui rejoignent le djihad”. Sur 15 ans, le politologue indique qu’il y a eu des attentats partout en Europe. “La France n’est pas particulièrement visée”.

“Molenbeek, quartier un peu laissé à lui-même”. Que dire alors du quartier belge de Molenbeek, qui concentre les attentions ? “Ce quartier est à très forte population musulmane. Mais ces jeunes ne sont pas des poissons dans l’eau. Ils bénéficient de leurs réseaux de jeunes délinquants. On est pas dut tout sur des réseaux militants, les mosquées et croyants ne les protègent pas. C’est aussi un problème structurel de la Belgique, avec les divisions entre administrations, avec la régions flamande, francophone, bruxelloise, les différentes polices, etc. Moleenbeck est un quartier que l’Etat a laissé un peu à lui-même.”

Les attentats, signes “d'affaiblissement”. Pour le politologue, Daech est passé au djihad global en réaction à son affaiblissement et aux frustrations sur le terrain. “On en a l’illustration avec la reprise de Palmyre“. L’état n’est plus en expansion conformément à ce que veut le califat. Il recule même.

 Source : Europe 1, Olivier Roy, 26-03-2016

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