samedi 3 septembre 2016

Clinton: une course contre la montre face aux “Affaires”, par Stéphane Trano

Clinton: une course contre la montre face aux "Affaires", par Stéphane Trano

Source : Marianne, Stéphane Trano, 24-08-2016

La fin de l’alignement des planètes est-il arrivé pour Hillary Clinton? Changement de tactique de la part de Trump, aveu dérangeant de l’Administration Obama sur l’Affaire des emails, ordonnance inattendue d’un juge fédéral, appels à la fermeture de la Fondation Clinton: la candidate, qui a toujours balayé d’un revers de main tous les soupçons qui la concernent, est-elle en train de reconstituer le camp républicain malgré-elle?

Photo: AmericaRisingPac

Photo: AmericaRisingPac

La campagne pour l'élection présidentielle américaine prend peu à peu, pour Hillary Clinton, l'aspect d'une course contre le temps. Un signe qui ne trompe pas est la prudence qui gagne, depuis la fin de semaine dernière, les principaux médias du pays: ils ne peuvent plus se contenter de souligner l'avance spectaculaire – de 20 points parfois – donnée à la candidate démocrate sur son adversaire républicain au fil des sondages, depuis les clôtures des conventions nationales des deux principaux partis.

Le New York Times a rappelé, , que le  raz-de-marée attendu en faveur de Clinton – dont il s'est fait l'un des principaux promoteurs – n'est pas aussi certain qu'il y paraît, et appelle ses partisans à modérer leur enthousiasme. Le quotidien écrit ainsi que « le pays est trop fragmenté et sa température politique trop surchauffée pour qu'une seule personne puisse émerger comme un choix consensuel pour les deux tiers de l’électorat. » Une reculade amusante, une semaine après avoir titré en faveur de Clinton et avec un enthousiasme mal dissimulé : « La campagne est-elle finie ? » Et le cas est loin d’être unique.

S'il maintient pour le moment sa vive campagne anti-Trump, l'autre grand navire amiral de la presse écrite américaine, le Washington Post : lundi, il publiait un article expliquant que « les plus durs critiques médiatiques anti-Trump (dont le quotidien est le meilleur représentant, NDA), sont d'accord : la Fondation Clinton doit fermer. » C'est un tournant certain dans la campagne électoral, accentué par des fissures très perceptibles dans la couverture des médias télévisés, jusqu'à présent menée exclusivement à la décharge de la candidate.

Photo: La Une du Huffington Post, le 21 août:

Photo: La Une du Huffington Post, le 21 août: “Fermez (la Fondation)”

Le calcul de Trump

L'inquiétude qui gagne ce front anti-Trump est nourrie par une série de questions recurrentes sur la formidable machine Clinton, dans un contexte où la mise en place rapide, par l'équipe Trump, sous l'impulsion de , d'une nouvelle étape de sa stratégie, commence à produire ses effets. Fini les provocations quotidiennes, pour le moment : Donald Trump a su saisir un « momentum » avec une grande habileté, en privant les médias de leur matière habituelle et abondante, pour les contraindre à traiter de sujets moins confortables pour l'ancienne secrétaire d'Etat. Et cela ne pouvait pas plus mal tomber.

Après le refus du Département de la Justice, fin Juillet, d'ordonner une enquête sur l'affaire des emails, le camp Clinton et une large partie de la presse avait estimés la question enterrée pour de bon. Mais le soulagement aura été de courte durée. Lundi, l'administration Obama a été contrainte de reconnaître que 14900 nouveaux emails avaient été découverts par le gouvernement, des emails que Clinton n'avaient jamais transmis à son autorité de tutelle. Le Juge fédéral James E. Boasberg a ordonné la remise de ces emails avant le 22 septembre, quelques semaines avant l'élection du 8 novembre. On sait, depuis quelques heures, que 148 de ces emails reçus par Hillary Clinton, lorsqu'elle était en charge de la politique internationale des Etats-Unis, provenaient d'interlocuteurs de haut niveau et de donateurs de la Fondation Clinton. Et l'information n'est pas sortie de nulle part mais, de manière très révélatrice, de la puissante , qui fédère 900 médias à travers le pays et tend à affirmer son indépendance dès qu'on la soupçonne d'adopter un penchant pour l'un des deux camps, cette année, en l'occurrence, pour le camp démocrate. Le plus significatif est, probablement, ce titre de l'archi-Clintonien Huffington Post, dans son édition de dimanche : « Fermez-là », à lire non pas comme une insulte mais comme « Fermez la Fondation Clinton! »

Début de panique?

Si les appels se multiplient de la part des états-majors médiatiques pour inciter Hillary Clinton à faire mouvement au sujet de la fameuse fondation, c'est que l'attitude de la candidate alimente toutes les rumeurs et rétablit la cohésion, à une vitesse alarmante, du camp républicain, depuis des mois incapable de se reconstituer sous les coups de boutoirs du candidat Trump. Il y a donc urgence.

Car c'est une constante dont Hillary Clinton semble incapable de se défaire : esquivant toutes les questions dérangeantes, n’apportant que des réponses imprécises et affichant une sérénité presque provocante face aux ennuis potentiels que ce type d'affaires peut engendrer, l'ancienne First Lady suscite non seulement une profond méfiance, y compris au sein des Démocrates, mais également, une franche suspicion. Un signe supplémentaire? Depuis quelques jours, Bernie Sanders, que la campagne avait finalement transformé en atout, a totalement disparu de la scène.

Tant que les débordements de Trump faisaient s'éloigner de lui, par un effet domino, des pans entiers de l'électorat républicain, Hillary Clinton pouvait mener une campagne par défaut. Mais les changements tactiques de Donald Trump constituent pour elle un piège imprévisible. Elle avait cru trouver une parade efficace en interpellant son adversaire, sans relâche, à publier ses déclarations fiscales, comme elle-même le fait depuis de nombreuses années. Cette fois, c'est à Trump de renverser la charge, dans un pays où le mensonge passe très, très mal, et où il est d'usage de devoir démontrer que l'on est innocent face aux accusateurs, même lorsqu'ils n'ont pas de preuves incontestables.

Les principales provenances des dons à la Fondation Clinton de 1999 à 2014 (source: Wall Street Journal)

Les principales provenances des dons à la Fondation Clinton de 1999 à 2014 (source: Wall Street Journal)

La réapparition d’un fonds enfoui

Or, la Fondation Clinton pose de sérieux problèmes. Depuis longtemps, on s’interroge à son sujet, et les enquêtes menées un peu partout commencent à livrer d'intéressantes informations. Le magazine Fortunea ainsi confirmé, lundi soir, qu'elle était dotée d'un fonds privé de Capital-Investissement appelé Fondo Acceso, centré sur les petites et moyennes entreprises colombiennes mais sans aucune existence avérée en Colombie, avec pour partenaires le milliardaire mexicain Carlos Slim – principal actionnaire du New York Times depuis 2015 – et le magnat minier canadien Frank Giustra, proche ami de Bill Clinton, même du conseil d'administration de la Fondation Clinton et par ailleurs gros producteur hollywoodien, qui a notamment financé le fil, du réalisateur Michael Moore, Fahrenheit 9/11. Le site de Fondo Acceso avait soudainement disparu d'Internet après des informations sur son existence divulguées l'an dernier par le New York Post.  Les cent millions de dollars attribués par Frank Giustra à la Fondation et la fourniture gracieuse de son jet privé aux époux Clinton à 27 reprises n'ont rien de secret, mais ce fonds, lui, qui afficherait une perte, reste sujet à interrogations. Des questions parmi tant d'autres concernant, plus particulièrement, la provenance des fonds de la Fondation Clinton, le rôle de Bill Clinton et l'influence éventuelle des généreux donateurs sur celle qui était alors secrétaire d'Etat de Barack Obama.

Confrontée à l'effervescence, et visiblement soucieuse d'éviter l'ouverture d'une investigation au niveau fédéral telle que la réclament les Républicains, la Fondation vient d'annoncer qu'elle travaille désormais à la recherche de  « partenaires » pour plusieurs de ses programmes, y compris toutes les activités et tous les programmes internationaux financés par des donateurs étrangers et des entreprises. Une annonce significative qui, si elle n’est pas synonyme d’aveu, paraît curieusement précipitée. Et une raison de plus, sans doute, pour ceux qui doutent fortement de la transparence des époux Clinton, de croire en leur capacité d’inverser la tendance récente.

Source : Marianne, Stéphane Trano, 24-08-2016

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