samedi 5 novembre 2016

Brexit : un nouveau référendum écossais sur l’indépendance en préparation, par Romaric Godin

Brexit : un nouveau référendum écossais sur l'indépendance en préparation, par Romaric Godin

Source : La Tribune, Romaric Godin, 13/10/2016

Nicola Sturgeon, premier ministre écossaise, a annoncé qu'elle lançait un nouveau référendum sur l'indépendance. (Crédits : RUSSELL CHEYNE)

Nicola Sturgeon, premier ministre écossaise, a annoncé qu’elle lançait un nouveau référendum sur l’indépendance. (Crédits : RUSSELL CHEYNE)

La première ministre écossaise Nicola Sturgeon a annoncé qu’elle déposera la semaine prochaine un projet de second référendum sur l’indépendance la semaine dernière. Mais la situation en Catalogne rend la situation très périlleuse pour l’UE.

C’est un nouveau défi pour la première ministre britannique Theresa May. Devant le congrès du Parti national écossais(SNP), Nicola Sturgeon, cheffe du gouvernement écossais a confirmé qu’un « projet de loi proposant un référendum d’indépendance sera publié pour consultation » la semaine prochaine.  « Je suis déterminée à ce que l’Écosse puisse reconsidérer la question de son indépendance et ce avant que le Royaume-Uni ne quitte l’UE si c’est nécessaire pour protéger les intérêts de notre pays », a-t-elle indiqué. Et, sans attendre le résultat de cette consultation, Nicola Sturgeon a appelé ses troupes à faire campagne pour l’indépendance, tout en mettant en garde contre tout sentiment de trop forte assurance. « Il faudra prouver l’intérêt de l’indépendance et la gagner dans les urnes », a-t-elle terminé.

Cette annonce constitue une réponse à la stratégie de Theresa May de refuser de consulter les parlements régionaux sur les négociations avec l’Union européenne concernant la sortie du Royaume-Uni et de prendre le chemin d’un « Brexit dur » en faisant le choix de prioriser la maîtrise des frontières sur l’accès au marché unique. Pour Nicola Sturgeon, toute cette stratégie est contraire aux intérêts de l’Ecosse qui, le 23 juin, a voté à 62 % en faveur du maintien dans l’UE. Et d’interpeller Theresa May : « l’Ecosse n’a pas choisi d’être dans cette situation – c’est votre parti qui nous y a mis. En 2014, vous nous avez dit que l’Ecosse était un partenaire égal dans le Royaume-Uni. Eh bien, c’est le moment de le prouver  ».

La situation a changé par rapport à 2014

Le 18 septembre 2014, les Écossais avaient, à 55 %, choisi de rester dans le Royaume-Uni. A l’époque, l’Union européenne avait fait campagne en faveur du « non » à l’indépendance, menaçant les partisans du « oui » d’obliger le nouvel Etat à se retrouver exclu de facto en dehors de l’UE, obligé de recommencer la procédure d’adhésion depuis le début. La situation est évidemment désormais très différente. Le Royaume-Uni sortant de l’UE, l’argument n’est plus valide. L’exclusion de l’Ecosse de la procédure de négociation est aussi un argument pour les Nationalistes écossais qui peuvent y voir le retour de la domination des intérêts « anglais » et un retour sur la dévolution des pouvoirs de la fin des années 1990.

Mais Nicola Sturgeon aura fort à faire pour imposer un deuxième référendum. D’abord, parce que les 62 % d’Ecossais qui ont voté contre le Brexit ne voteront pas tous en faveur de l’indépendance. Selon l’institut BMG, ce nouveau référendum reste peu populaire et n’est soutenu que par 38 % des Ecossais, 47 % y étant opposés, même si en cas de “Brexit dur”, le camp des Indépendantistes pourrait progresser. La baisse du prix du pétrole a réduit les ressources écossaises et certains mettent en garde contre le coût économique d’une rupture avec Londres. Les questions qui se posaient en 2014 restent d’actualité, notamment celle de la monnaie de la future Ecosse indépendante. En 2014, ces questions avaient aussi joué en faveur du « non » qui avait été porté principalement par la population la plus âgée de la région. Le Brexit peut changer les lignes, mais sera-ce assez ? Rien n’est moins sûr, notamment parce que l’attitude de l’UE reste équivoque.

L’UE moins enthousiaste vis-à-vis de l’Ecosse

Dans les jours qui ont suivi le 23 juin, la Commission européenne a beaucoup choyé Nicola Sturgeon. Alors que son prédécesseur José Manuel Barroso avait toujours refusé de rencontrer Alex Salmond, le premier ministre écossais avant le référendum de 2014, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne avait reçu chaleureusement Nicola Sturgeon.

Mais, rapidement, on en était resté là. L’idée avancée par Bruxelles d’utiliser l’Ecosse comme un moyen de pression sur Londres en lui proposant un statut particulier, voire en soutenant une adhésion directe en cas de référendum avant la sortie officielle du Royaume-Uni de l’UE, avait fait long feu. Car le cas écossais n’est pas isolé.

Il est observé de très près en Catalogne où la majorité parlementaire est indépendantiste. Le gouvernement espagnol, qui refuse toute autodétermination à la Catalogne, n’entend pas favoriser l’indépendance de l’Ecosse. Car si l’UE soutient le séparatisme à Edimbourg, comment pourrait-il s’opposer au séparatisme à Barcelone ? L’attitude négative de l’Espagne est, du reste, fortement soutenue par la France, terrorisée par un précédent qui pourrait donner des idées aux régionalistes. Dès lors, même en cas d’indépendance, le maintien dans l’UE n’est plus assuré et l’Ecosse pourrait devoir demander son adhésion à l’UE. Dans ces conditions, l’attrait direct de l’indépendance pourrait en être réduit.

Quel référendum ?

De fait, une des questions les plus brûlantes du second référendum écossais sera la méthode. En 2014, le référendum avait fait l’objet d’une longue négociation avec le gouvernement britannique. En octobre 2012, un accord entre Londres et Edimbourg avait permis de mettre en place le cadre du vote qui devait être organisé par le parlement écossais selon le principe d’une seule question simple. Le gouvernement britannique s’engageait à respecter le résultat. L’indépendance en cas de « oui » devait intervenir dans les deux ans suivant le scrutin. La légalité de l’accord avait pu être contestée, mais l’engagement de Londres assurait le fait que le vote aurait un impact. Cette reconnaissance par les autorités britanniques conduisait naturellement les puissances étrangères à reconnaître de facto le résultat du référendum.

Mais cette méthode simple ne semble pas d’actualité aujourd’hui. Le parlement écossais peut-il, de son propre chef, décider d’organiser un référendum sur l’indépendance en se passant de l’accord de Londres ? Cela semble peu probable. Le gouvernement britannique est-il prêt alors à renouveler les accords d’octobre 2012 ? C’est ce que Nicola Sturgeon invite Theresa May à faire ce jeudi 13 octobre. Mais le gouvernement britannique a beaucoup changé, désormais. Le Brexit a provoqué un virage à droite vers un style plus autoritaire. Le magazine de gauche New Stateman titre ce mois-ci sur la « revanche de l’Angleterre ». Il n’est pas certain que l’exécutif britannique accepte comme le précédent d’ouvrir un second front en Ecosse en plus de celui qu’il va devoir mener face à l’UE.

Mais alors ? La situation écossaise pourrait ressembler de plus en plus à celle de la Catalogne. Une majorité indépendantiste serait confrontée à un refus du pouvoir central de reconnaître le droit à l’autodétermination de la région autant que son droit à disposer d’un mot à dire dans la politique étrangère du pays. Dès lors, la seule voie pourrait être pour Edimbourg l’unilatéralité et la rupture avec la légalité britannique. C’est la voie qu’est sur le point de prendre la Catalogne puisque le parlement catalan a validé la semaine dernière une nouvelle feuille de route incluant un référendum d’autodétermination unilatéral durant la deuxième semaine de septembre 2017.

Le jeu entre l’Ecosse et la Catalogne, un casse-tête pour l’Europe ?

Ceci rend encore plus complexe la situation écossaise. Si l’Ecosse emprunte le chemin catalan, Londres et Madrid se retrouveront de facto des alliés de fait face à leurs séparatistes. La France elle-même, si elle poursuit sa politique de refus de toute modification de frontières en Europe occidentale devra refuser toute reconnaissance de l’Ecosse comme de la Catalogne.

Il ne sera pas possible, si les situations sont analogues, d’opérer une distinction entre le cas catalan et celui écossais, sous prétexte que l’un serait favorable à l’UE et pas l’autre. Si l’UE reconnaît une indépendance de l’Ecosse issu d’un référendum unilatéral, alors on ne pourra dénier cette reconnaissance à la Catalogne. De même, il sera difficile de soutenir l’indépendance écossaise ici et de combattre celle de la Catalogne là. Ce sera alors un casse-tête considérable pour les Européens.

Car si l’affaiblissement d’Edimbourg devient la priorité de Madrid et Paris, il faudra faire des concessions à Londres pour démobiliser les tentations indépendantistes écossaises. De plus, il sera alors impossible de tenter d’affaiblir Londres en soutenant l’indépendantisme écossais. Au final, le référendum de Nicola Sturgeon pourrait devenir un atout pour les Britanniques dans le cadre des négociations avec le Brexit. C’est pourquoi Londres n’a pas d’intérêt à l’accepter dans l’immédiat. Le grain de sable écossais pourrait donc entraver l’objectif actuel de la France et de l’Allemagne qui cherchent à faire du Brexit une leçon pour les Eurosceptiques français. C’est dire si l’annonce de Nicola Sturgeon rend la situation complexe. Et si ce n’est pas alors une bonne nouvelle pour les dirigeants européens.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 13/10/2016

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