dimanche 11 décembre 2016

En Autriche, les inquiétudes économiques pèsent aussi sur l’élection présidentielle, par Romaric Godin

En Autriche, les inquiétudes économiques pèsent aussi sur l'élection présidentielle, par Romaric Godin

Article d’avant l’élection.

J’ai adoré les commentaires de propagande : TOUT VA BIEN, l’extrême-droite en Autriche ne recueille que 47 % des voix !

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Source : La Tribune, Romaric Godin, 30/11/2016

En Autriche, le risque de pauvreté est certes un des plus faibles d'Europe avec seulement 18,3% des ménages concernés, mais c'est encore 1,6 point de plus qu'en 2007. (Crédits : Statista*)

En Autriche, le risque de pauvreté est certes un des plus faibles d’Europe avec seulement 18,3% des ménages concernés, mais c’est encore 1,6 point de plus qu’en 2007. (Crédits : Statista*)

Les Autrichiens votent à nouveau pour élire leur président fédéral dimanche. L’ancien Vert Alexander van der Bellen et le candidat de l’extrême-droite Norbert Hofer sont toujours au coude-à-coude dans un duel où l’économie ne sera pas absente.

Ce dimanche 4 décembre sera un jour décisif pour l’Union européenne. Outre le référendum constitutionnel italien, l’Autriche vote à nouveau pour élire son président fédéral. La Cour constitutionnelle autrichienne a en effet annulé le 1er juin dernier le deuxième tour de l’élection du 22 mai où l’Indépendant et ancien président des Verts Alexander van der Bellen l’avait emporté contre le candidat du parti d’extrême-droite FPÖ Nobert Hofer avec 50,35% des suffrages. Cet écart de 30.863 voix sur 4.637.046 suffrages exprimés n’avait été obtenu qu’à l’issu du décompte des votes par correspondance, ce qui a donné lieu à une contestation de la FPÖ finalement acceptée par la justice constitutionnelle. Le deuxième tour devait initialement se tenir le 2 octobre, mais en septembre, il a été remarqué que certaines enveloppes de vote ne se fermaient pas. Suite à ce « Uhu-gate » comme l’a appelé le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung en référence à la marque de colle, le gouvernement a alors demandé une vérification et a repoussé le scrutin au 4 décembre.

Sondages indécis

La campagne a été assez rude entre les deux concurrents. Alexander van der Bellen a mis en garde contre la victoire de l’extrême-droite et contre une éventuelle sortie de l’UE qui en serait la conséquence, tandis que Norbert Hofer a attaqué les élites et dénoncer l’accueil des migrants. Les deux candidats tentent de convaincre les derniers indécis ou ceux tentés de ne pas participer au vote. En attendant, comme en mai dernier, l’élection s’annonce extrêmement serrée et c’est la seule leçon qu’il est possible de tirer de sondages où les écarts demeurent très faibles. La dernière enquête Unique Research publiée le 18 novembre donne 51% à Alexander van der Bellen contre 49% à Norbert Hofer avec une marge d’erreur de 3%… La veille du reste un sondage Gallup attribuait 52 % à Norbert Hofer. Bref, l’élection reste entièrement incertaine.

Les pouvoirs du président

Le président fédéral autrichien dispose de pouvoirs très limités, le chancelier, chef du gouvernement, devant valider la plupart de ses prérogatives. Il ne peut ainsi pas dissoudre la chambre basse du parlement, le Conseil national (Nationalrat) sans l’accord du gouvernement fédéral. De même, la dissolution d’un parlement régional (Landtag) n’est possible qu’avec l’accord de la chambre haute du parlement fédéral. Il n’est cependant pas une simple figure symbolique ou représentative, comme peut l’être le président fédéral allemand. La Constitution lui donne ainsi le droit de renvoyer, de son propre chef, le gouvernement fédéral. Il nomme aussi le chancelier fédéral et peut donc jouer un rôle important en cas de crise politique (ce que ne peut faire le chef de l’Etat allemand, par exemple). L’élection de Norbert Hofer est donc crainte par une grande partie de la classe politique autrichienne, car son rôle ne sera pas neutre.

Poussée de l’extrême-droite

Au-delà des incertitudes, cependant, un élément demeure certain. Désormais l’extrême-droite autrichienne est capable de fédérer autour d’elle près de la moitié de l’électorat. Alors que l’ensemble des partis du centre et de la gauche (SPÖ social-démocrate, Verts, Libéraux de Neos) appellent à voter Alexander van der Bellen et que la droite (ÖVP et Team Stronach) ne donnent pas de consignes de vote. Lors de la précédente élection présidentielle, en 2010, la candidate FPÖ, Barbara Rosenkranz, n’avait mobilisé que 482.000 électeurs, un million de moins que Norbert Hofer au premier tour de 2016. Du reste, ce dernier, avec ses 1,5 million de voix au premier tour a, lors de ces élections, quasiment doublé le meilleur score présidentiel de la FPÖ, celui de 1992, avec 761.390 voix. Il a aussi gagné 500.000 voix par rapport au score de la FPÖ aux élections fédérales de 2013. La FPÖ connaît clairement un regain depuis le début des années 2010, tant en voix qu’en pourcentage. Avec plus de 35% des voix au premier tour de la présidentielle et 49,7 % au second, le parti d’extrême-droite atteint un nouveau plus haut que les sondages semblent confirmer puisqu’il est donné entre 33% et 34% des intentions de vote contre 20,7% en 2013.

Une prospérité troublante

Comment expliquer une telle progression ? Les observateurs ont souvent été frappés par l’écart entre la prospérité de l’Autriche et cette montée de l’extrême-droite. Il est vrai que la République alpine est fort loin d’être un pays en ruine. Le taux de chômage harmonisé y est de 6,3% de la population active, bien en deçà des 10% de moyenne dans la zone euro. En parité de pouvoir d’achat, le PIB par habitant autrichien se situe en troisième position de la zone euro, derrière le Luxembourg et l’Irlande, avec un niveau supérieur de 27% à la moyenne de l’UE. On est donc loin d’une paupérisation avancée. D’autant que le pays se caractérise par un niveau d’inégalité faible : l’indice de Gini calculé par l’OCDE est ainsi le sixième plus faible des 35 pays de l’organisation, à 0,28 contre 0,292 pour l’Allemagne, 0,294 pour la France, 0,358 pour le Royaume-Uni ou encore 0,394 pour les Etats-Unis. On est donc loin de la situation de ce dernier pays, par exemple, qui a pu porter l’élection de Donald Trump au début de ce mois.

Explication « culturelle »

L’explication la plus fréquemment avancée est donc « culturelle ». Elle repose sur l’existence d’une tendance de fond de la société autrichienne à voter pour des partis nationalistes qui a été renforcée par l’arrivée, à l’automne 2015, de nombreux réfugiés. Plusieurs éléments tendent à renforcer, dans le cas autrichien, cette explication. Le travail sur la responsabilité autrichienne dans la seconde guerre mondiale a longtemps été réduit, à la différence de l’Allemagne, au profit de la théorie d’une victimisation de l’Autriche annexée par les Nazis. Ceci a conduit à la persistance d’un mouvement nationaliste qui a toujours été présents dans la FPÖ, parti « libéral », parfois allié aux Sociaux-démocrates, mais fondé par d’anciens dignitaires nazis. Au début des années 1990, la FPÖ a rejeté sa composante libérale pour se concentrer sur sa composante nationaliste portée par Jörg Haider, et ceci a été le prélude à la forte poussée de ce parti. La preuve de cet élément culturel est que, dans un contexte économique différent, au législatives de 1999, la FPÖ avait déjà obtenu 1,3 million de voix, soit presque autant que Norbert Hofer en avril 2016.

Terreau économique

Néanmoins, cette explication fait sans doute un peu trop bon marché des facteurs économiques. Sans nier le facteur « culturel », il semble qu’il existe un terreau économique qui favorise le passage vers le vote FPÖ. Du reste l’analyse sociologique du vote du 22 mai dénote que les ouvriers ont voté en faveur de Norbert Hofer à 86%. Cette prédominance du vote d’extrême-droite chez ceux qui constituaient jadis l’électorat de gauche ne saurait s’expliquer que par un élément « culturel ». D’autant que l’on voit une progression de cet électorat également dans d’autres couches de la société : employés, travailleurs indépendants ou même fonctionnaires qui ont attribué entre 40 et 45% de leurs voix à Norbert Hofer.

Un chômage qui remonte

Pour comprendre l’insatisfaction des Autrichiens sur le plan économique, il n’est pas utile de la comparer à ses voisins ou d’observer la situation du pays dans l’absolu. Les Autrichiens n’ont que faire de savoir que leur taux de chômage est beaucoup plus faible que celui de la France. En revanche, il leur importe beaucoup de constater que le taux de chômage harmonisé est passé dans leur pays de 4% à 6,3%. En 5 ans, le pays compte plus de chômeurs, dans un pays où, avant la crise, on se vantait de disposer, en raison notamment du système de formation d’une « recette miracle » contre le chômage. La martingale semble s’être enrayée et cela, naturellement inquiète une grande partie de la population la plus exposée au risque de chômage. On notera ainsi que selon les statistiques de l’AMS, l’assurance chômage autrichienne, le nombre de chômeurs de plus de 50 ans est passé en 5 ans de 65.662 à 97.928, soit une augmentation de près de 50% qui fragilise toute une classe d’âge. D’ailleurs, le 22 mai, les 35-60 ans ont voté Norbert Hofer à 52%.

Un autre élément mérite d’être souligné : la faiblesse du taux de chômage en Autriche s’explique par l’importance du temps partiel. En 2015, 28,2% des salariés autrichiens travaillaient à temps partiel, soit 1,172 million de personnes. Dix ans plus tôt, ce taux n’était qu’à 21,3% et 719.000 personnes. Et ce taux augmente très rapidement : il était de 29% au premier trimestre 2016. Ceci conduit à une précarité et à une insécurité croissante.

Une tendance à la stagnation des revenus

Un autre élément joue. Si l’Autriche demeure un pays où la croissance est relativement forte, avec une progression de 5,4% entre 2010 et 2015, soit plus que le moyenne de l’UE (5,3%) et que la zone euro (+3,6%), cette croissance est inférieure à celle des périodes précédentes et notamment à la période 2000-2005 (près de 9%), époque au cours de laquelle le pays a profité largement de l’ouverture des marchés d’Europe centrale. Conséquence : le gâteau est moins gros à se partager compte tenu de la croissance démographique et de la répartition des revenus. Par habitant, le PIB a nettement brisé sa tendance à partir de 2008. Depuis 1995, le PIB par habitant a progressé de 1,4% par an en moyenne. Il a reculé de 0,5% en 2013, de 0,3% en 2014 et il est resté stable en 2015. Le sentiment de coup d’arrêt se traduit par un recul annuel moyen du revenu par habitant de 0,6% depuis 2009. En 2015, ce revenu se situait ainsi sous le niveau de 2006. La consommation des ménages a évolué dans le même sens.

Une prospérité qui ne doit pas faire illusion

Autrement dit, la prospérité autrichienne ne doit pas faire illusion. Elle est clairement à l’arrêt. Le risque de pauvreté est certes un des plus faibles d’Europe avec seulement 18,3% des ménages concernés, mais c’est encore 1,6 point de plus qu’en 2007. Ceci explique un malaise croissant dans la population autrichienne, notamment dans les régions les moins dynamiques du pays, celles qui ont majoritairement voté pour Norbert Hofer.

Lire le rapport : Comment va l’Autriche ? (“Wie Geht’s Österreich ?”) de Statistik Austria (en allemand).

D’autres éléments d’explication à cette poussée d’extrême-droite peuvent se trouver dans la longue domination d’une « grande coalition » qui a souvent conduit à une certaine inertie, comme dans le cas de la crise de la banque Hypo Alpe Adria, tout en laissant l’extrême-droite en position de seule opposition. Au final, l’élément culturel semble cependant insuffisant pour comprendre la situation autrichienne. La crise de 2008 dans un pays très fortement bancarisé a conduit à freiner fortement les revenus et la croissance. Elle a laissé des traces, malgré une reprise plus timide. La force de la poussée d’extrême-droite est sans doute le fruit du cas particulier autrichien, mais cette poussée ne peut être compris sans constater l’effet de cette crise.

Source : La Tribune, Romaric Godin, 30/11/2016

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