lundi 30 janvier 2017

Polémique sur l’interne de l’AP-HP : de Touraine à Hirsch, on noie le poisson

Polémique sur l'interne de l'AP-HP : de Touraine à Hirsch, on noie le poisson

Dans notre série “Propagande”, une stratégie classique – et une illustration de pratiques déplorables.

Une interne vient témoigner avec talent du délabrement de l’hôpital. 11 millions de vues de sa vidéo, des centaines de témoignages d’autres internes…

Plutôt que de répondre (vu qu’on ne peut pas), les pouvoirs publics tentent de la discréditer : d’abord en dénonçant le fait qu’elle soit engagée au Parti de Gauche.

Mais encore mieux, ensuite, en la dénonçant comme menteuse, voire affabulatrice, car en ce moment elle ne travaille pas dans un hôpital public !

Sauf que… elle n’a jamais dit qu’elle était dans un hôpital public, et que ce n’est pas le problème.

À moins de considérer que c’est normal d’être mal traité dans un hôpital privé.

Argument d’ailleurs étrange, sachant que je ne suis pas sur que la situation de l’hôpital privé soit largement pire que celle de l’hôpital public…

Affaire intéressante montrant comment on peut broyer de plus en plus facilement les gens qui ont discours qui ne plaît pas – sans répondre au fond du sujet…

D’ailleurs, ce 29/01 : le site de France Inter raconte toujours n’importe quoi :

Je souligne enfin que ceci se passe sur le service public – à méditer par tous ceux qui pensent que le problème de la presse, c’est l’actionnaire…

Polémique sur l’interne de l'AP-HP : de Touraine à Hirsch, on noie le poisson

Source : Libération, Alexandre Hervaud, 19-01-2017

Sabrina Ali Benali, interne en médecine dont les vidéos cartonnent sur Facebook. Capture d’écran Facebook

Une interne en médecine a posté sur Facebook une vidéo protestant contre ses conditions de travail et le traitement des patients. Du ministère de la Santé à la direction de l’AP-HP, on a trouvé la parade pour la décrédibiliser.

Sabrina Ali Benali, 31 ans, est interne en dernière année de médecine à Paris. Sur Facebook, elle a publié le 11 janvier dernier une vidéo de 4 minutes au succès retentissant, avec déjà plus de 11 millions de vues. Face à la webcam, elle dénonce énergiquement et non sans humour le plan com’ de Marisol Touraine, ministre de la Santé, autour de la gestion hospitalière de l'épidémie de grippe.

La ministre en prend pour son grade : «C'est tous les jours l'état d'urgence à l'hôpital, Mme Touraine», lui explique l'interne à grand renfort d'exemples sur le manque criant de moyens. Elle y raconte notamment l'anecdote d'une patiente de 75 ans victime d'insuffisance cardiaque, installée sur un brancard de fortune faute de lit disponible dans 11 hôpitaux contactés par Sabrina Ali Benali, alias Sabrina Aurora sur son profil Facebook.

La tournée des médias

Une semaine après sa mise en ligne, la viralité de la vidéo assure à Sabrina Ali Benali plusieurs passages remarqués dans les médias grand public. Ce mardi, elle est interviewée par un journaliste de la Nouvelle Edition (C8) puis interrogée sur le plateau de Quotidien (TMC) par Yann Barthès. Mercredi matin, elle est l'invitée de Léa Salamé dans la matinale de France Inter, et présentée par Patrick Cohen comme «une interne en médecine au sein de l'AP-HP», soit l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris.

Son entretien d'une dizaine de minutes (à retrouver ci-dessus) attire plus de 1,6 million de vues sur Facebook en une journée. Au détour d'une question, Salamé mentionne, comme lors de chacun des passages médias cités plus tôt, l'appartenance de l'interne au Parti de Gauche au sein duquel elle est coresponsable de la commission santé. Un engagement qu'elle ne cache pas mais qui expliquerait pourquoi Marisol Touraine n'a pas souhaité lui répondre, à en croire son service de communication cité par La Nouvelle Edition.

Objectif : décrédibiliser

Hasard de la programmation de la radio publique, Martin Hirsch, directeur général de l'AP-HP, est invité sur les mêmes ondes de France Inter quelques heures après Sabrina Ali Benali. Interrogé dans Le Téléphone sonne sur ce coup de gueule ultra-médiatique, il trouve une belle parade : elle ne serait pas interne dans l'un des 39 hôpitaux de l'AP-HP mais «dans un hôpital privé à but non lucratif». «Donc, elle n'est pas de l'AP-HP», insiste l'animateur Nicolas Demorand, avant de rappeler ses liens avec le Parti de Gauche.

«[…] Pour défendre l'hôpital public, il n'y a pas besoin d'inventer ou de mettre en scène des difficultés […] pas besoin de scénariser ce genre de choses», conclut Martin Hirsch, tout en reconnaissant (quand même!) que l'AP-HP n'est pas irréprochable. Le mal est fait, la crédibilité de l'interne est attaquée. Sur Facebook, peu de temps après, Gabriel Attal, conseiller en communication de Marisol Touraine, exulte dans un message privé mais dont nous nous sommes procuré une copie : «Quand une prétendue interpellation citoyenne apolitique se révèle être une manipulation politicienne».

Le mea culpa de Cohen

L'interne est à nouveau attaquée, une fois de plus sur France Inter, ce jeudi dans la matinale. Patrick Cohen dit avoir «le sentiment de s'être un peu fait avoir par l'invitée d'hier matin». Il rappelle l'avoir présentée comme «une salariée de l'assistance publique-hôpitaux de Paris», se justifiant ensuite en diffusant l'extrait d'une vidéo de Sabrina Ali Benali dans laquelle elle déclare : «Je suis interne en dernière année de médecine à l'AP-HP». Cohen ne prend pas la peine de préciser que la vidéo en question, la première publiée par la jeune femme, date du 19 octobre 2016. Elle était alors en congés maternité et venait effectivement d'effectuer deux semestres de stage à l'AP-HP, comme nous l'a confirmé le service de communication de l'assistance publique.

Cohen, qui se confond en excuses («mea culpa, nous aurions dû vérifier»), ne précise pas non plus qu'à aucun moment de son entretien sur Inter ou dans sa récente vidéo Facebook, Sabrina n'a mentionné l'AP-HP. Pire, il signale qu'elle serait actuellement dans un hôpital du XIIe arrondissement de Paris, «où il n'y a pas de service d'urgences», ce qui serait donc pour lui contradictoire avec l'anecdote de la patiente cardiaque. L'imposture est démasquée ! Pas si sûr : comme nous l'a précisé le service de communication de l'AP-HP, l'interne est bel et bien affectée ce semestre dans un groupe hospitalier «privé hors AP-HP ayant passé une convention avec l'AP-HP» réunissant deux hôpitaux parisiens, l'un dans le XIIe et l'un dans le XXe. Et ce dernier abrite bien un service d'urgences, où elle travaille actuellement. Trop tard, l'enfumage a bien fonctionné. Sur le site Pure Medias, on peut rapidement lire un article intitulé France Inter et «Quotidien» piégés par une fausse interne de l'AP-HP, rien que ça.

Sabrina Ben Ali, qui explique à Libération ne pas poster ses vidéos dans une optique militante, se dit devenue «un porte-voix malgré elle», à tel point que même des sites proches de l'extrême droite ont relayé son coup de gueule. Après l'intervention de Hirsch sur Inter, elle publie hier soir un droit de réponse sur Facebook. Dans cette vidéo visible ci-dessus, elle explique le fonctionnement de l'internat, et montre, fiche de paye de décembre à l'appui, qu'elle est bien payée par l'AP-HP. «Comme tous les internes de la région parisienne», répliquera plus tard sur Twitter l'AP-HP, qui n'en démord pas : «Sabrina Ali Benali n'est pas ce semestre en stage dans un hôpital de l'AP-HP».

La nuance est technique et son utilisation par Hirsch relève plus de la diversion que du fact-checking : comme évoqué plus tôt, le groupe hospitalier dans lequel l'interne est affectée en ce moment est effectivement privé. Mais sa paie est bien assurée par le bureau des internes de l'AP-HP, que l'interne n'avait de toute façon pas mise en cause directement dans sa récente vidéo d'alerte. Et Sabrina Ali Benali de préciser que quatre des onze établissements évoqués dans son anecdote sur la patiente cardiaque mal hébergée faute de lit étaient des établissements de l'AP-HP, ce que n'avait pas mentionné Hirsch. L'interne, qui s'est estimée «calomniée» en écoutant en larmes le «mea culpa» diffusé jeudi matin sur France Inter, juge la réponse de Martin Hirsch «désolante».

Source : Libération, Alexandre Hervaud, 19-01-2017

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Ma réponse à Patrick Cohen et Martin Hirsch, qui remettent en question mon statut d’interne

Source : Huffington Post, Sabrina Ali Benali, 23/01/2017

Il est désolant que je doive répondre dans cette affaire à des accusations infondées et de pure forme, alors que mon propos est, sur le fond, d’alerter sur la situation de l’hôpital en général dans notre pays.

DR

Réponse à Patrick Cohen et Martin Hirsch

Le jeudi 19 janvier, sur l’antenne de France Inter, où j’avais été invitée la veille, Monsieur Patrick Cohen a exprimé, dans sa rubrique “Retour sur l’interview de Sabrina Ali Benali”, son “sentiment de s’être un peu fait avoir…”, laissant entendre que j’avais trompé l’émission La Matinale et ses auditeurs. Il a remis en question mon statut d’interne de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), et affirmé que je ne travaille pas dans un service d’urgences. Il a illustré ses propos par ceux tenus la veille par Monsieur Martin Hirsch, Directeur de l’AP-HP, dans l’émission Le Téléphone sonne. Ce dernier y avait dit que je ne suis pas interne de l’AP-HP au seul motif que je n’exerce pas en ce moment dans un hôpital public de l’AP-HP.

Ces affirmations semant le trouble sur mon statut et mes fonctions, au risque de discréditer ma parole, sont inexactes et m’ont profondément choquée. D’autant qu’au moment où Patrick Cohen a effectué ces allégations, son équipe disposait de ces précisions sur mon statut.

Le fait que j’effectue ce semestre mon stage hospitalier dans un établissement de santé privé d’intérêt collectif (ESPIC) à but non lucratif, conventionné avec l’AP-HP ne change strictement rien à mon statut d’interne de l’AP-HP (cf. Décret n°99-930 du 10 novembre 1999 fixant le statut des internes et des résidents en médecine, des internes en pharmacie et des internes en odontologie, chapitre 2 article 9) ni au fait que je travaille bien dans un service d’urgences.

Surtout cela n’altère en rien la véracité de mes divers témoignages. Dans la vidéo postée le 11 janvier à l’origine de mon invitation par plusieurs médias, et qui cumule à ce jour plus de 11,5 millions de vues sur les réseaux sociaux, je n’ai jamais mentionné l’AP-HP ou l’hôpital public en général. Je m’y suis présentée comme une “interne aux urgences”. Et lors de mon passage à la Matinale, je n’ai à aucun moment mentionné l’hôpital public en particulier. Par ailleurs, concernant le cas de la personne en soins palliatifs atteinte d’un cancer du pancréas, cette expérience a été vécue dans un hôpital public de l’AP-HP. Enfin, parmi les onze hôpitaux mentionnés dans ma vidéo du 11 janvier ne disposant plus de lit pour accueillir une dame de 75 ans en insuffisance cardiaque, 4 sont des hôpitaux publics de l’AP-HP, qui n’est donc pas épargnée par le problème global que j’ai dénoncé.

Cette polémique autour de mon statut et de celui de l’établissement dans lequel je travaille durant ce semestre est donc une grossière opération de diversion.

En dépit des nombreux articles de presse et des émissions diffusés dès jeudi rétablissant la vérité à mon égard, France Inter a continué depuis à porter le discrédit sur ma parole. Sur la rubrique de l’invité de La Matinale, Patrick Cohen affirme toujours à cette heure que je travaille dans un hôpital “où il n’y a pas de service d’urgence”. Dans sa réponse aux auditeurs qui, n’étant pas dupes, l’ont interpellé sur le site du médiateur de Radio France, Monsieur Cohen admet qu’à aucun moment dans mes vidéos je ne mentionne explicitement l’hôpital public, mais estime que “tout le monde comprend cela”. Il utilise pour illustrer ses accusations confuses le titre d’un article d’un autre journaliste pour lequel je n’ai pas été consultée. La réponse-type publiée plusieurs fois par le médiateur met elle courageusement en garde ses auditeurs contre mes “mensonges”: “Attention de ne pas confondre la situation difficile vécue par les personnels des hôpitaux, situation que nous relatons régulièrement sur nos antennes, et les mensonges d’une interne qui affirme travailler dans un hôpital de l’AP-HP et cite des exemples vécus soi-disant la semaine précédente dans le service des Urgences, alors que cet hôpital privé n’en possède pas”. A aucun moment je n’ai dit travailler en ce moment dans un hôpital public de l’AP-HP. J’ai raconté ma garde au service d’urgence de mon hôpital.

Dans la rubrique “Retour sur l’interview de Sabrina Ali Benali”, il est toujours écrit à cette heure que je ne suis pas salariée de l’AP-HP. Alors que l’équipe de Monsieur Cohen a reçu sur ce point ma confirmation verbale et la copie des statuts des internes de l’AP-HP dès mercredi, et des copies de mes fiches de paie dès jeudi. Pire, Monsieur Cohen s’est permis de dévoiler dans sa réponse publique sur le site du médiateur le nom de l’hôpital dans lequel je travaille, entraînant plusieurs appels dans le service des urgences sans aucun lien avec un problème de santé relevant d’une prise en charge dans le service, et dérangeant au passage l’équipe hospitalière. Il “oublie” d’ailleurs de mentionner le nom du second site de cet établissement, qui héberge les urgences, ce qui lui permet de continuer à mettre en doute le fait que je travaille dans un service d’urgences.

Alors, où sont les mensonges? Quels sont les objectifs de ce traitement si ce n’est de décrédibiliser à tout prix ma parole? Je demande instamment à la direction de France Inter de rétablir la vérité à mon égard, tant à l’antenne sur le créneau de La Matinale que sur le site internet de la station.

Il est par ailleurs désolant que je doive répondre dans cette affaire à des accusations infondées et de pure forme, alors que mon propos est, sur le fond, d’alerter sur la situation de l’hôpital en général dans notre pays.

Or, en dehors de ce que je ressens comme une atteinte personnelle à mon honneur et à ma dignité, le plus grave est bien que les vaines arguties qui sont utilisées pour me discréditer sont la seule réponse apportée à ce jour par les autorités au désarroi de millions de personnes qui partagent, vues à l’appui, ce cri d’alerte. J’invite donc au passage Monsieur Hirsch et Madame Touraine à lire les milliers de commentaires et de témoignages corroborant mes constats sur l’hôpital postés sur ma page Facebook par des personnels de santé, toutes professions confondues, et des usagers.

Je souhaite pour finir remercier les professionnels de la santé, les syndicats et les usagers pour leurs milliers de messages, dessins, photos de soutien, communiqués qui me vont droit au cœur et m’aident à supporter la pression que je subis depuis que mon honnêteté a été mise en doute jeudi devant des millions d’auditeurs.

Mes remerciements vont également aux journalistes qui ont accepté d’entendre ma version des faits et ont, dans leurs articles et interventions télévisuelles, contribué à rétablir la vérité aux yeux de l’opinion publique.

Merci enfin aux médecins urgentistes Patrick Pelloux, Christophe Prudhomme et Gerald Kierzeck de m’avoir apporté dès vendredi leur précieux soutien.

Source : Huffington Post, Sabrina Ali Benali, 23/01/2017

URL: http://www.les-crises.fr/polemique-sur-linterne-de-lap-hp-de-touraine-a-hirsch-on-noie-le-poisson/

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